Je suis un pokémon. Je m'appelle Caninou.
Pour l'heure je suis allongé sur un fauteuil confortable, les pattes avant battant l'air machinalement. J'attends que le temps passe, que l'on vienne me chercher pour la promenade dans le parc: attendre est bel et bien mon activité principale. Attendre mes repas, attendre l'heure de la toilette, celle de la balade... attendre le retour de mon maître James.
Je regrette infiniment d'être loin de lui, mais je ne l'oublie pas et je lutte pour lui si nécessaire, même s'il ne peut pas le savoir. Un jour la femme qui se nomme Jezabelle est venue dans ma niche, avec je ne sais quel projet de m'utiliser pour retrouver James; mais je me suis battu contre elle. Pas seulement lorsqu'elle a appelé son maudit rafflesia pour me paralyser, mais durant des jours et des nuits, sans relâche... Car elle m'avait muselé et enfermé dans ce cachot sinistre d'où j'ai tant de fois sauvé mon maître, et elle m'a privé de nourriture et de sorties... Combien de temps? Il est impossible de le dire: sans horloge ni lumière, ce souterrain doit être l'antichambre de l'enfer... Je sais seulement qu'elle a dut m'en sortir en fin de compte car les parents de James ne voulaient pas que je perde de ma valeur en maigrissant et en déprimant. C'est pour moi une victoire morale d'avoir résisté pour protéger la liberté de mon maître. Et une petite revanche personnelle aussi, car je hais cette femme...
Peut de gens semblent savoir que les pokémons haïssent: alors que beaucoup semblent persuadés qu'ils peuvent aimer. Et la haine n'est elle pas la soeur cachée de l'amour? Oh, je sais, j'ai de sombres pensées pour un pokémon si bien traité. Mais je n'avais moi-même jamais tenu de tels propos avant que Jezabelle n'arrive au manoir.
Je me souviens parfaitement du premier jour où elle est venue habiter chez nous, après que nous soyons allés la voir à son château. Mon maître et moi-même étions nerveux: il n'était pas habituel que l'on nous fasse tellement de recommandations pour accueillir un visiteur... spécialement si ce n'était qu'une petite fille. J'ai tout de suite sentit quelque chose de mauvais en elle, et la crispation de mon maître m'a prouvé qu'il en était de même pour lui. J'ai enfouit mon truffe dans la paume de James pour le réconforter, et en même temps tenter de lui faire passer un message: "Ses sourires sont des masques de duperie, ses gestes des menaces, ses paroles des pièges... Méfie toi James, méfie toi..." Et je savais qu'il comprenait, inconsciemment, ce que je voulais lui dire.
Lorsque l'on a annoncé a mon maître qu'il allait épouser cette enfant, j'ai crut que le sol s'ouvrait sous nos jambes, que mes sens se brouillaient, que les dimensions de l'espace se démultipliaient... Mais ce ne fut rien comparé à sa venue définitive au manoir, symbole de l'enfance de mon maître qui s'achevait, et de sa défaite prochaine...
Je ne veux pas repenser à nouveau aux cris, aux claquements de fouets, aux larmes... Ni à l'angoisse permanente et insidieuse qui régnait de plus en plus dans notre demeure, et imprégnait de façon indélébile le coeur de James. Un des souvenirs douloureux que je me remémore avec le plus de force, sur qui le temps n'a pas posé de voile, est celui des réveils brutaux de mon maître. Lui auparavant si paisible la nuit, il se réveillait de plus souvent, en sueur, terrifié et fébrile après un cauchemar... Cauchemars qui, je le lisait dans ses yeux, n'étaient que le reflet de la terrible et quotidienne réalité. Pourtant, même sortit si brutalement de son sommeil, il ne criait pas d'istinct, de peur d'alerter sa terrible geolière. Toujours je me redressait sur le lit et, prenant appui sur son torse tremblant, je me hissais jusqu'à son visage pour y appuyer mon museau frais. Alors seulement il s'apaisait et se rendormait, en me serrant de toute sa force contre lui.
Pour toutes ces nuits de mauvais rêves, sa fiancée ne paiera jamais suffisamment. Dans son enfance mon maître concoctait toutes sortes de plans de vengeance, mais il y renonçait invariablement... Etait-ce de la faiblesse? Il a finalement préféré la fuite. L'exil pourrait t'on dire. Loin de moi...
Je le connais mieux que cette fille qui semble être sa nouvelle meilleure amie. Il m'a confiée combien il tient à elle: tout d'abord j'ai été surpris. En effet, elle l'avait contraint à revenir au manoir épouser Jezabelle... Puis j'ai compris qu'il puisse pardonner cela: ne m'a t'il pas abandonné lui aussi? Et je ne lui en ait jamais voulut.
Comment aurai-je put lui en vouloir? Ses parents sont ignobles et sa fiancée démoniaque... Et puisque l'on ne pourrais pas le deviner en les voyant, je trouve que le qualificatif de "mauvais anges" leur convient à merveille. Je suis un pokémon et je suit mon coeur sans faiblir; James n'est qu'un humain, il n'était pas assez fort pour résister à la volonté de ces trois personnages. Car leur détermination a la force d'une machine-broyeuse.
A quoi sert de raconter cela? Quel humain m'écoutera? Aucun. Car je suis un pokémon. Et pourtant cela me hante, ce désir que j'ai parfois de parler, crier, hurler la veritée... Parfois un cauchemar m'éveille, où mon maître est jugé, et dans lequel je sanglote, je pleure "Écoutez moi... Ce n'est pas vrai, ce ne sont que des mensonges, tout est faux ici... Je sais moi, vous voulez connaître la vérité? Écoutez moi, voilà ce qui est vrai, ce qui c'est passé..." Et à ce moment là des images et des souvenirs me reviennent, comme des vieilles photos jaunies pas le temps...
Après ce cauchemar je me reveille et la douleur est terrible en moi, car nul ne sait à part moi qui est réellement James... Et je ne peux ne faire partager ce secret pesant avec personne. Mais si je ne peux pas aider mon maître en plaidant pour lui, je veux le défendre et combattre à ses cotés.
Cela était notre rêve le plus cher autrefois, mais il a été brisé par tout le monde.
Je regarde à nouveau dehors, un jour je serai libre, je foulerai cette herbe, ce sentier, je passerai les grandes grilles et rejoindrai mon cher maître... Ce jour là je serai face à un dilemme à nouveau, car pour le retrouver il me faudra courir le risque d'être capturé par d'autres membres de la team-rocket. Mais ce danger n'est rien contre l'attente insupportable que je vis en ce moment.
J'appuie mon "front" contre une vitre... Elle parait si fragile, elle me laisse entrevoir un espoir de liberté, mais en réalité elle est aussi solide que du roc... Grâce aux soins de Jezabelle.
Je fais une fois de plus le tour de ma niche, tout est fermé, aucune issue... Et tout les jours, plusieurs fois, je refais cette ronde dans l'espoir de partir... Mais les gens sont si soigneux ici, si méticuleux, tout est toujours soigneusement fermé. Mais un jour, il y aura une brèche dans la prison, je ne perds pas espoir... Oui, un jour...
FIN
Hélène
Date de dernière mise à jour : 05/07/2021