Déménagement dans les souvenirs de Butch

Chapitre 9 : La vie de fugueur

Le prochain camarade de classe chez qui Butch dormait à présent, c’était Wayhem. Cela faisait approximativement une heure qu’il avait débarqué, et sa famille avait été compréhensive malgré quelques réticences.

Alors qu’il sortait de la chambre de son ami pour un petit pipi nocturne, il entendit la voix de la mère de Wayhem filtrer à travers la porte de la chambre familiale. Curieux, il tendit le cou près de la porte, l’audition aux aguets.

 « … pense que c'est mieux si vous alliez le récupérer demain à la sortie de l'école. », dit-elle sur un ton sérieux. « Si vous arrivez cette nuit, je pense qu'il voudra encore moins vous suivre. »

L’adolescent aux cheveux verts rata un battement de cœur lorsqu’il comprit que la mère de son camarade de classe était au téléphone avec ses propres parents pour les avertir que leur fils était ici.

« De toute façon, ne vous en faites pas pour lui, il est en sécurité chez moi et il dort profondément… Oui. Oui, je comprends ; moi aussi j’ai un fils et ce n’est pas toujours évident… Très bien. Encore désolé de vous avoir déranger à cette heure de la nuit… »

Ignorant les derniers mots de politesse, Butch fit demi-tour sur la pointe des pieds et referma doucement la porte de chambre dans laquelle lui et Wayhem dormaient. Il se recoucha sur son matelas que ses parents avaient eu la gentillesse de gonfler à une heure aussi tardive et remonta les couvertures jusqu’à son cou.

Il ferma les yeux et roula sur le côté. Mais malheureusement pour lui, il n’arrivait pas à s’endormir. Son cerveau répétait en boucle ce que la mère de son camarade de classe avait dit à ses parents.

Maintenant qu’ils savaient qu’il était chez Wayhem, il ne pouvait plus rester ici. Il douterait que ses parents débarquent en pleine nuit mais ils seraient bien capables de venir au petit matin pour le ramener de force chez eux.

« Et merde… », marmonna-t-il pour lui-même en fermant les paupières.

Ceci dit, cela faisait quelques jours déjà qu’il s’était enfuit et il n’avait pas du tout entendu des échos comme quoi ses parents le rechercheraient activement. Peut-être que son intuition était juste ; qu’ils étaient contents d’être débarrassé de lui et qu’ils ne s’épuiseraient même pas à le retrouver… ?

Non. Le doute ne pouvait pas être permis.

Il n’avait pas le choix : il devait partir au minimum avant l'aube.

Ce qui lui laissait approximativement encore 5h pour tenter de dormir, réfléchit-il en regardant l’horloge murale de son ami qui affichait les chiffres 1h17. Il se retourna de l’autre côté, se blottit contre ses couvertures et ferma les yeux dans l’espoir de s’endormir rapidement.

.

Lorsque Butch réouvrit les paupières, il faisait encore sombre même si le ciel s’éclaircirait peu à peu. Il tourna la tête vers l’horloge murale qui était toujours allumée et qui affichait à présent les chiffres 6h13.

Parfait.

Il était encore fatigué de son sommeil agité mais il ne pouvait pas se permettre de perdre  des minutes inutilement. Il se leva en faisant le moins de bruit possible malgré le matelas en plastique grinçant et s’approcha de la fenêtre à pas de loups.

Même si la situation l’obligeait à s’enfuir d’ici, il voulait tellement laisser un mot de remerciement à son camarade de classe. Mais il ne pouvait pas prendre le risque de le réveiller lui ou ses parents. Il regarda une dernière fois son ami avec reconnaissance, avant de soulever doucement sa fenêtre et de s’accrocher à la gouttière pour y glisser comme un pompier. Une fois sur la terre ferme, il s’enfuit prestement de leur maison sans se retourner.

Heureusement pour lui, Jadielle était une énorme ville. De ce fait, il pouvait bouger souvent d'endroits pour ne pas se faire repérer par les flics et être ramener de force chez ses parents.

Mais maintenant qu'il y réfléchissait, des enfants de son âge -et parfois même plus jeunes que lui, partaient librement en voyage Pokémon sans que les parents n'appellent la police pour les retrouver... Alors peut-être qu'il avait une chance pour que les agents Jenny ne le prenne pas en chasse ? En toute honnêteté, est-ce que ses parents ne seraient pas plutôt soulagé de ne plus l'avoir sur le dos ? Peut-être que sa mère avait paniqué les premières minutes de sa disparition mais son père avait rationalisé et ils  étaient arrivé à se calmer avant de maudire un fils aussi désobéissant. Et si les forces de l'ordre en venaient tout de même à se pointer chez lui, ses parents leur diraient sûrement qu'il est parti faire son voyage initiatique pour devenir dresseur Pokémon. L'affaire serait close et ses parents seraient débarrassé. Peut-être même qu'ils célébreraient leur liberté avec une coupe de champagne ? Oui, c'était probablement ce qu'il se passerait..., spécula Butch alors qu'un goût amer le piquait au point de grimacer, les poings serrés.

Un sentiment douloureux lui tiraillait les entrailles et il fut obligé de s'arrêter dans sa marche pour éteindre son ventre à l'aide de sa paume.

Ça faisait mal.

Tellement mal.

Mais Butch devait arrêter d'y penser. Ses parents ne l'avaient jamais considéré comme un deuxième fils à part entière ; il n'était que le remplaçant de leur premier enfant. Il devait se rentrer ça dans le crâne une bonne fois pour toute.

Cette fois, c'était chez Cécile qu'il tentait sa chance. Le temps n'avait pas été clément avec lui et une pluie battante s'était abattue sur la ville depuis le matin. Malgré la capuche de son sweat polaire, Butch était trempé, frigorifier, et ses dents n'arrêtaient pas de claquer. Il espérait que la famille de sa camarade de classe serait compréhensive.

La porte d'entrée de leur maison craqua, et c'est la silhouette courbée de la grand-mère de Cécile qui se présenta devant lui, l'air encore un peu endormie dans un « Oui ? » tremblant.

« B-Bonsoir, m-m'dame... », bredouilla Butch, en frottant ses bras tremblant dans le but de les réchauffer.

« Ooh, pauvre chéri... ! », s'exclama-t-elle dans un sursaut, un air paniqué sur le visage. « Qu'est-ce qui t'es arrivé ? Pourquoi es-tu ici en pleine nuit ? Et où sont tes parents ? »

« J-Je...Bah en fait.... j'ai eu une g-grosse dispute avec eux et je- j'voulais être seul un moment p-pour réfléchir. », expliqua-t-il en relevant ses yeux de chiens battus, pensant que cela ferait effet sur la vieille dame. « J'peux pa- passer la nuit ici pour reprendre mes esprits, si- s'you plaît ? »

« Oui oui, bien sûr ! », accepta-t-elle facilement. « Entre vite ! Je vais te faire un bol de soupe pour te réchauffer. »

La grand-mère avait été hyper gentille et adorable ; Butch se souvenait même avoir pu prendre une douche chaude pendant que ses vêtements séchaient. Le bruit avait évidemment tiré sa camarade de classe, Cécile, qui avait un sommeil léger et qui était descendue pour voir le raffut que faisait sa grand-mère à l’étage inférieure. Butch lui avait expliqué sommairement la situation, elle n’avait pas dit grand-chose de plus que « ça craint, Bouffy. », qui l’avait d’ailleurs énervé.

Il avait également dormi sur le canapé du salon avec des couvertures qui sentaient, certes anciennes, mais qui étaient très douces. Le lendemain matin, il avait accepté de prendre le petit-déjeuner avant de faire mine d’accompagner Cécile jusqu’à l’école et de la lâcher au détour d’un carrefour.

« J'ai joué à ce petit jeu pendant un mois facile en allant chez tous mes camarades de classe. », raconta-t-il en déposant un carton dans la camionnette.

« Et tu ne t’es jamais fait choper ? », s'étonna Cassidy en l'imitant.

« Non, jamais. », répondit-il avant de regarder la maison d'un regard tranquille. « Et je ne suis plus jamais revenu ici. C'est comme ça que j'ai fini à la rue, dans la galère et la délinquance... », dit-il en souriant d’un air amusé pendant qu’il rentrait à nouveau à l’intérieur de la maison pour chercher le reste, sa partenaire sur les talons.

Après que tout le registre de ces camarades de classes ait accepter de l’héberger pendant une nuit ou deux, Butch fut bien obligé de rester à la rue toute la journée étant donné qu’il n’allait plus à l’école.

Les journées étaient un peu longues mais il savait s’occuper ; il mettait au point ses techniques de vol à l’étalage dans les différents magasins, et allait parfois se nourrir dans les supermarchés qui proposaient de la nourriture gratuite en guise d’échantillon. Parfois, il tentait également du vol à l’arrachée à l’aide de son couteau-suisse et il était récompensé par des paquets de jambon, des tranches de pains, ou même des roues de fromage au Lait Meumeu. Lors des jours de beaux temps, il se reposait contre un arbre ensoleillé dans un parc où enfants et Pokémon s’amusaient à cœur joie. Il passait également du temps dans les magasins de vêtements à faire du lèche-vitrine, les magasins culturels à lire des bandes-dessinées ou à occuper le rayon jeu vidéo pour tester le dernier jeu sorti sur console qui était mis à disposition.

Le seul souci, c’était lorsque la nuit tombait et qu’il devait dormir dehors. Il s’était mentalement préparé depuis un moment et avait même fait des plans dans sa tête.

Mais chercher un endroit plus ou moins sécurisant où dormir n’était pas aussi facile qu’il l’avait pensé ; les Rattata envahissaient les culs-de-sac et ne voulaient pas d’intrus sur leur territoire, les gens louchent dans les ruelles proposaient discrètement de la drogue à ceux qui avaient le malheur de s’approcher d’un peu trop près, et les aire de jeux pour enfants, en plus d’avoir une ambiance flippante, regorgeaient de sans-abris plus hostiles les uns que les autres.

Dans son malheur, alors qu’il parcourrait à nouveau les rues, ses pieds le traînèrent devant un terrain vague qui se trouvait sous une bâche. Au centre du terrain vague, plusieurs personnes étaient rassemblées autour d’un feu de fortune. C’était un squat de SDF...

« Eh petit. Il t’intéresse, notre squat ? »

En tournant la tête à sa droite, il vit un vieillard à la barbe grisonnante, au bonnet noir enfoncé sur sa tête et au long manteau kaki qui faisait le guet près du lampadaire à l’entrée. Il possédait également une cigarette entre ses deux doigts.

« Je peux ? », demanda Butch alors que ce dernier haussait les épaules.

« J’pense pas qu’une personne de plus nous dérangeraient, mais dis-moi plutôt… », commença-t-il alors qu’il portait sa cigarette à ses lèvres pour en tirer une bouffée. « Qu’est-ce que tu fous dehors à cette heure-là ? Ils sont où tes parents ? A moins que tu sois Dresseur Pokémon... »

Butch plissa le nez à l’odeur de la fumée de cigarette que l’homme lui soufflait au visage.

« Non, je ne suis pas Dresseur Pokémon. J’ai fugué de chez moi, c’est tout. »

« Oh. », lâcha-t-il bêtement. « A un si jeune âge, c’est moche. »

« Alors j’peux venir squatter avec vous et votre bande ou pas ? », réitéra le garçon aux cheveux verts.

 

« Si tu veux crécher sous notre tente cette nuit, faut qu’tu donnes ce que t'as dans ton sac. », imposa-t-il en faisant un mouvement du menton vers le sac que Butch portait sur ses épaules.

A l'entente de cette condition, Butch resserra ses poings sur les poignées de son sac à dos et fronça les sourcils.

« Quoi ?! Mais je... »

« Pas de péage, pas de toit sous lequel dormir. », rétorqua le sans-abri en secouant la tête.

En plus, il commençait à pleuvoir..., remarqua-t-il en sentant plusieurs gouttes d'eau lui tomber sur le crâne. Il ne pouvait pas se permettre de dormir sous une pluie battante ; il mourrait de froid avant même d'avoir vu la lumière du jour. Butch ouvrit son sac à dos qu'il garda accroché à une épaule et en sortit un paquet de gâteaux sucrés qu'il avait acheté il y a quelques heures au supermarché.

« J’ai qu’ça. Et c'est du racket, c'que vous faites... », marmonna Butch en lui collant le paquet dans les bras et en passant à côté de lui.

« Un conseil, petit ; fait gaffe à tes affaires. Les vols entre clochards, c'est pas ce qui manque... », avertit l'homme.

Le garçon frissonna des pieds à la tête puis, sans lui répondre quoi que ce soit, partit s'abriter sous la toile de tente pour aller se réchauffer près du feu.

.

Butch n'avait pratiquement pas pu dormir de la nuit ; recroquevillé à même le bitume contre un mur, la tête posée sur un sac poubelle dur en guise d'oreiller, il avait enfilé son sac à dos devant lui et s'y était agrippé de toutes ses forces. Malgré son sweat fermé jusqu'au cou et sa capuche rabattue sur sa tête, il n'avait pas pu générer assez de chaleur pour s'endormir.

A chaque fois qu'il somnolait et s'apprêtait enfin à tomber dans les bras de Morphée, la toux des quelques SDF et les quelques crissements de semelles sur le gravier l'en empêchèrent. Il sursautait à chaque fois, le cœur battant, et regardait dans tous les sens dans la crainte de voir une quelconque menace rôder près de lui. Il resserrait sa prise sur son sac à dos - de peur qu'on lui vole toutes ses affaires et aussi parce qu'il trouvait un peu de réconfort en serrant son sac dans ses bras.

Butch avait tenté d'écouter de la musique sur son walkman mais avait bien vite abandonner ; le bruit lancinant des gouttes d'eau sur la tôle en plastique dur le déconcentrait beaucoup trop pour qu'il se focalise sur sa musique préférée et il ne voulait pas risquer inutilement de se faire voler son appareil si un des sans-abris venaient à le découvrir.

Le garçon aux cheveux verts avait quand même dû tomber de fatigue dans la nuit puisque, lorsqu'il avait ré-ouvert les yeux, le jour était déjà bien levé.

Et pour couronner le tout, comme si cette nuit merdique n'avait pas suffi à lui donner un mal de dos, lorsqu'il avait vérifié ses affaires, Butch s'était aperçu que les billets qu'il gardait dans la poche de son jean avait disparu. On lui avait certainement fait les poches lorsqu'il était tombé dans un profond sommeil… Et bien sûr, plus aucun des sans-abris ne se trouvaient dans les environs pour avoir des témoignages ou les accuser, constata-t-il alors qu'il papillonnait des yeux et reniflait en s'essuyant le nez avec le dos de sa main.

Dans son malheur, le SDF qui lui avait volé son argent n'avait pas touché à ses autres affaires et il avait pu constater, non sans un certain soulagement, que la montre onéreuse prise à son paternel était toujours cachée dans la poche interne de son sac à dos.

En revendant la Steelex dans une joaillerie, Butch se paya deux semaines dans un hôtel miteux dans les quartiers à risques de Jadielle. Le papier peint de la chambre qu'il avait loué se décollait par endroit à cause de l'humidité, les draps sentaient le renfermé, et à en juger par le couple qui se disputait de l'autre côté du mur, l'isolation n'étais pas aux normes. Mais au moins, le collégien se sentait en sécurité. Ici, il pouvait fermer la porte d'entrée à la clé sans que personne ne vienne le fouiller. Personne ne pourrait le déranger et il aurait un semblant de paix pendant un petit moment.

C'est pour cette raison que les rouages de son esprit vif tournaient à chaque fois qu'il sortait faire un tour dehors et qu'il voyait les membres d'un gang de caïd se balader sans peur dans les rues de la ville. Ils portaient tous une veste en cuir orné d'un Léviator rugissant dans le dos, très certainement le symbole de leur groupe, et marchaient la tête haute, le dos droit. Des personnes fuyaient leur regard menaçant, certains se poussaient sur leur passage pour leur laisser la priorité, et d'autres changeaient même de trottoir lorsqu'ils les croisaient.

Ils imposaient le respect et Butch pensait que s'il pouvait entrer dans leur groupe, il serait protégé et les autres SDF n'oseraient plus l'approcher. Avec eux, il serait en sécurité pendant un temps. Bien sûr, il savait qu'intégrer un gang avait un prix ; il devrait probablement jouer le larbin pour tous les autres mais il savait que ses capacités à voler pourrait leur être d'une grande utilité.

C’est de cette façon que, deux semaines plus tard, une fois qu’il quitta sa chambre d’hôtel avec encore assez de Pokédollars en poche, il attendit le soir pour prendre des sbires du gang en filature.

La capuche rabattue sur ses cheveux, Butch les suivit avec plusieurs bons mètres de distance. A l’entente de leur conversation bruyante où se mêlaient rire et insulte, ils n’avaient pas l’air d’avoir remarqué sa présence.

Parfait.

Le groupe traversa la route sans se soucier du klaxon d’une voiture qui faisait crisser ses pneus, se permettant même de faire des doigts d’honneur au conducteur. Ils disparurent dans une ruelle sombre après avoir salués deux hommes qui bordaient les bâtiments – certainement des patrouilleurs. Butch fit mine de relacer ses baskets et observa discrètement le trottoir d’en face.

Il y avait deux mecs qui gardaient l’entrée de la ruelle. Leur planque était certainement là. Le chahut provoqué par les membres du gang qui s’étaient engouffré précédemment à l’intérieur ne résonnait plus ; ils avaient donc dû bel et bien entrer quelque part.

Butch prit une inspiration pour se donner du courage et se dire qu’il ne pouvait plus faire marche arrière, puis soupira doucement son trop-plein d'air. Il se releva, traversa la route déserte tout en retirant sa capuche, et s’approcha des deux gardes qui le regardèrent en arquant un sourcil interrogatif, un air méfiant sur le visage.

« Un problème, gamin ? », voulu savoir le premier tandis que le second enchaînait.

« T’as perdu ton chemin ? »

« Je veux voir votre chef. Amenez-moi à lui. », déclara sérieusement Butch.

Cependant, les sbires ne répondirent même pas à sa requête et préférèrent se foutre ouvertement de sa gueule. Ils se calmèrent au bout d'une minute, sous le regard résolu de Butch.

« C'était une belle plaisanterie. », reconnu le premier sbire en claquant une main sur l'épaule du garçon aux cheveux verts et en essuyant la larme qui perlait au coin de son œil. « Merci pour le fou-rire. »

« Non mais j'te jure ; qu'est-ce qui faut pas entendre... », soupira le deuxième avant de faire un mouvement de la main comme s'il chassait un insecte gênant. « Allez, retourne chez ta mère, gamin. T'as rien à faire là. »

« Je ne partirais pas avant d'avoir parlé au chef de votre gang. », insista Butch alors que l'homme à barbe l'empoignait brusquement par le col, sourcils froncés d'agacement.

« T'es sourd ou quoi ?! On t'a dit de dégager ! », râla-t-il en le repoussant.

Butch trébucha de deux pas en arrière mais ne fit pas demi-tour pour autant. Il resta toujours debout à les fixer stoïquement, avant de baisser les yeux sur ce qu'il tenait en main.

« Terry Dicule et Harry Cover... », lu-t-il en levant le bras pour mieux voir l'écriture grâce à la lumière du lampadaire non loin d'eux. Il releva les yeux et arqua un sourcil, ne pouvant s'empêcher de pouffer silencieusement de rire. « Sérieux, c'est vraiment vos noms, les gars ? »

« Qu'est-ce que... ?! », bafouilla l'homme à lunettes en fouillant dans sa poche arrière pour n'y trouver que du vide.

« Comment a-t-il pu nous les piquer sans qu'on l'remarque... ?! », s'exclama le deuxième à barbe.

En effet, Butch avait les cartes d'identités des deux sbires en main. Après le choc passé, ils restèrent silencieux et le toisèrent ouvertement, mâchoire serrée.

« Rends-nous nos papiers ! », s'énervèrent-t-il à l'unisson en tendant leur bras pour essayer de récupérer leur bien.

« Non. » refusa le garçon en écartant son bras vers l'arrière. « Je veux d'abord parler à votre chef. »

« Non mais tu crois où, au juste ?! », s'indigna le premier sbire alors que ses lunettes de soleil lui tombèrent sur le bout du nez. « T'es chez nous, ici ! C'est à toi de nous obéir ! »

« Et t'as un sacré culot pour te foutre de nous comme ça ! J'vais t'apprendre, moi ! », répliqua celui à la barbe en sortant un poing américain qui fit tressaillir Butch. Alors qu'il arquait son bras pour prendre de l'élan et lui infliger un crochet du droit, la voix ferme d'un autre homme le coupa en plein geste.

« Hé ! On peut savoir pourquoi vous êtes si bruyants ? », voulu savoir le nouvel arrivant.

Ce dernier avait les cheveux courts et était légèrement plus musclé que les deux autres sbires. Il portait une veste en cuir beaucoup plus épaisse qu’eux et dont les clous sur les épaulettes scintillaient dans la nuit.

« C'est lui ! », accusa l'un des sbires en le pointant du doigt.

« Ils nous a volé nos papiers ! », renchérit le deuxième. « Fait quelque chose, John ! »

Butch ignora leur accusation et regarda le fameux John dans les yeux. Son visage était fin et sa joue avait une entaille cicatrisée par le temps. Son expression et sa posture transpiraient le calme et la supériorité. Les probabilités pour que ce soit le chef venaient d'augmenter légèrement. Peut-être était-ce lui ? Ou alors, était-ce un de ses bras droit ?

« C'est toi, le chef ? », demanda sérieusement Butch en le tutoyant sans pression.

L'homme le dévisagea en silence pendant plusieurs secondes avant de finalement prendre la parole.

« Non. Je suis l'un de ses commandants. Qu'est que tu lui veux ? »

« J'aimerais lui parler. C'est important. », répondit-il avant de rajouter un « S'il te plaît. »

Les yeux noirs du haut-gradé l'observèrent à nouveau sans mot, puis l'homme ferma doucement les yeux en détendant ses traits tirés.

« C'est d'accord. Suis-moi. », dit-il tandis que les sbires bafouillaient des incompréhensions. Un regard perçant de ce dernier les firent taire. « Laissez-le passer. »

Les larbins se décalèrent d'un air penaud pour dégager le passage, non sans retourner leur attention sur l'enfant aux cheveux verts pour le fusiller du regard. Butch les ignora et préféra s'adresser au haut-gradé.

« Merci. »

En passant à côté des deux sbires, sans leur accorder une œillade, il jeta leur carte d'identité vers eux, objet qu'ils rattrapèrent maladroitement dans leur bras. Une fois libéré, Butch fourra ses mains dans les poches de son sweat à capuche et suivit nonchalamment l'homme à la veste clouté qui disparaissait déjà dans l'ombre d'un petit escalier.

Alors qu'ils marchaient le long d'un couloir éclairé par des lumières qui clignotaient de façon lugubre au mur, un coup de feu retentit brusquement dans les locaux. Butch sursauta pendant que le haut-gradé soupirait doucement, comme s'il avait l'habitude d'entendre cela. L'homme à la cicatrice s'arrêta et se tourna de côté pour jeter un coup d’œil au garçon dont les yeux s'étaient écarquillés, l'air de comprendre doucement ce qu'il venait de se produire non loin d'eux.

« Tu es sûr que tu veux rejoindre notre gang ? », demanda-t-il d'une voix traînante, ayant percé à jour les intentions de Butch, alors que ce dernier clignait des yeux pour redescendre sur terre. « Il est encore temps de faire demi-tour si tu le souhaite... »

Le cœur battant, le garçon aux cheveux verts déglutit et secoua la tête pour se débarrasser de ses mauvaises pensées. Il se doutait très bien dans quel endroit il s'embarquait en venant ici. Hors de question de reculer alors qu'il était si près de son objectif.

« Bien. », acquiesça solennellement l'homme avant de continuer son chemin, Butch sur les talons.

Ils arrivèrent à une porte rouge dont les jointures étaient rouillées. C'était sans doute la pièce dans laquelle se trouvait leur chef. Qui venait très certainement d'abattre un ennemi – homme, femme, enfant ? - avec une arme à feu.

« Prêt ? », demanda John en se tournant une dernière fois vers lui, sa main sur la poignée de porte.

Butch avait les mains moites à cause de la lourde tension qui s'était soudainement abattue dans l'atmosphère mais il refusa de laisser le haut-gradé percevoir encore plus son malaise. Il serra ses poings et s'éclaircit la gorge.

« Oui. Je suis prêt. », dit-il doucement, la bouche encore pâteuse.

L'homme ouvrit la porte dans un grincement sinistre et Butch eut tout juste le temps de voir deux pieds être traîné derrière une caisse en bois que John lui cachait à nouveau la vue pour entrer dans la pièce. Il le suivit et entendit le chef du gang soupirer grassement.

« Bon sang, c'est toujours pareil avec ces mecs de Jotho... », dit-il d'un air las.

Le Boss était comme Butch l'avait imaginé ; chauve, au visage anguleux et à la carrure imposante. Il possédait un simple tee-shirt, une lourde veste en cuir, des énormes bottes de motard, ainsi qu'un jean surmonté d'une ceinture dont le cadre brillait. Il était assis sur un vieux fauteuil dont les accoudoirs étaient soigneusement taillés mais dont la couleur dorée avait été ternie par le temps. Certainement un meuble qu'ils avaient récupéré dans une décharge, pensa-t-il distraitement.

Butch mentirait s'il disait que la vue de l'homme trapu qui astiquait tranquillement son arme à feu ne l’impressionnait pas. A la vue du pistolet, il sentit sa gorge s'assécher et une sueur froide couler le long de sa colonne vertébrale. Maintenant qu’il laissait ses yeux balayer l’endroit, il pouvait apercevoir des giclés et des trainées de sang sur le béton à quelques mètres de là où il passait. Butch failli avoir un haut-le-cœur mais déglutit bruyamment et reporta son attention sur le chef.

Le boss releva la tête lorsque l'homme à la cicatrice s'approcha et s'arrêta à deux mètres de lui. Il regarda brièvement son commandant et tourna ensuite la tête vers Butch en verrouillant ses petits yeux noirs avec ceux marrons du garçon.

« Qu'est-ce que tu m'ramènes là, John ? Tu sais très bien que j'aime pas les gosses. », râla-t-il.

« Ce jeune garçon ici présent souhaiterait avoir une conversation importante directement avec vous. », répondit le fameux John en tendant la main vers Butch.

« Ha ouais ? Alors déjà, tu vas te présenter correctement et me dire ce que tu nous veux, gamin. »

« Je m'appelle Butch, j’ai fugué de chez moi et je voudrais rejoindre votre gang. », répondit-il fermement en faisant un pas.

« Mmh. T'as du cran. », reconnu le chef en se frottant le menton. « Mais pourquoi un gamin aussi chétif que toi veut rejoindre notre gang ? Nous faisons semons la terreur en ville et notre trafic n'est franchement pas rose. »

« Je sais. », répondit le garçon en hochant la tête. « Je suis peut-être chétif comme vous dites, mais je suis très bon en vol à l'arracher et en vol à l'étalage ; je peux vous obtenir ce que vous voulez du moment que l'objet ou l'aliment est de petite taille ou de taille moyenne grand maximum. Je peux aussi faire vos courses, que ce soit pour un simple café ou quelque chose de plus important en étant, bien sûr, accompagné par un de vos sbires. En échange, je veux que vous assuriez ma protection contre les autres sans-abris qui m'ont déjà racketté. Je veux aussi éviter les flics et je pense que votre gang pourrait m'apporter la sécurité dont j'ai besoin. »

Accoudé à son genou, le chef du gang bourdonna en guise de réflexion, le bas de son visage caché entre son pouce et son index. Au bout d'une bonne minute où ses sbires argumentaient sur le pour et le contre pendant que les plus hauts-gradés demandaient à leur boss sa décision finale, ce dernier soupira en baissant sa main.

« Bon, écoute, Dutch. »

« C'est Butch. », corrigea-t-il, le front plissé.

« Butch, pardon. », s'excusa le chef. « Je suis d'accord pour accepter ton deal ; tu iras voler dans les marchés et tu feras nos courses en échange de notre protection. Tu peux rester six semaines avec nous mais pas plus. On n’est pas une garderie non plus. », bougonna-t-il en sortant une boîte de cigarette de la poche intérieure de sa veste noire.

 « Je – Merci beaucoup, m'sieur ! », sourit Butch dans une courbette respectueuse alors que ses yeux marrons brillaient de reconnaissance et d'excitation.

« T'as bien compris, hein ? Trois semaines et après tu s'ras de nouveau à la rue. », répéta le boss en le pointant autoritairement de l'index et en levant les yeux vers lui.

« Oui ! »

« Je t'enverrai demain sur le terrain pour un test afin de voir si j'ai bien fait de t'accepter dans la bande. Et si tout se passe bien, tu pourras même aller faire de la surveillance pour nous informer si la bande des Bicyclettes repointent leur sale gueule en ville. », expliqua-t-il en sortant une cigarette et en la coinçant au coin de ses lèvres.

« La bande des Bicyclettes ? », s'étonna Butch, dont le nom lui était inconnu et qu'il trouvait même plutôt drôle.

« Ouais. Parfois, ces connards de la campagne viennent nous chercher des crosses à nous, les citadins. »

Le garçon aux cheveux verts bourdonna en guise de réponse. Les conflits entre différents gangs faisaient toujours la Une des journaux, alors ce n’était guère étonnant. Le chef fit signe à Butch s’approcher de lui. Après avoir déglutit – parce que l’homme avait toujours son flingue de posé sur l’accoudoir, le jeune garçon lui obéit et se posta à côté de son fauteuil, dans l’attente de sa prochaine phrase.

« Rappel-moi quel âge t'as ? », demanda le chef en se penchant sur le côté, comme si Butch lui avait déjà donné cette information.

« 14 ans et demi, m'sieur. »

« Tiens, prend-en une ; ce sera ton premier pas dans notre gang. »

Butch regarda le paquet ainsi que le briquet à motif de flammes que le boss lui tendait. Il n'avait pas l'âge légal pour fumer des cigarettes et tousserait probablement tous ses poumons au premier essai mais après tout, il n'avait plus de compte à rendre à personne. Il était libre et pouvait faire ce qu'il voulait.

Résolu, il fronça les sourcils d’un air déterminé et piocha une cigarette.

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Date de dernière mise à jour : 21/08/2022

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