8. Conquête
" Vite dépêche-toi James, on va être en retard ! " cria la rouquine à son ami qui la suivait en courant, vérifiant toujours au passage les pavés. "J'arrive Jessie !". Tous deux se retrouvèrent devant leur salle de cours, essoufflés, en retard d'une quinzaine de minutes. Jessie toqua à la porte et rentra dans la pièce avant même d'entendre un "ENTREZ" de la part du professeur, James la collant comme s'il s'agissait de son ombre, légèrement stressé par la perspective de se faire sermonner pour la énième fois par l'enseignant. "Jessie et évidemment James ! Toujours les mêmes ! Je n'ai jamais rencontré d'élèves aussi indisciplinés...Filez à vos places, et en vitesse ! Je vous préviens que le jour des examens il vous sera interdit de vous présenter avec ne serait-ce qu'une minute de retard ! "hurla leur instructeur d'histoire du monde Pokémon. Jessie continua de mâcher son chewing-gum dans la désinvolture la plus totale, tandis que James sentait ses joues virer au rouge en voyant tous les regards des autres élèves se retourner vers eux en pouffant. Le soir même les deux adolescents se retrouvèrent dans la chambre de Jessie pour relire leur cours, ou plutôt discuter de la stratégie à adopter pour ces fameux examens de fin d'année qui approchaient à grand pas.
" Alors James, tu es plutôt antisèches ou portable ?" demanda la jeune fille en s'amusant à faire deux couettes à son ami, assis par terre.
" Jess, j'essaie de relire mes cours s'il te plait...et puis tu ne comptes pas tricher quand même....si ? " l'interrogea le jeune homme en essayant de cacher un petit rire quand il aperçut dans le miroir face à lui les drôles de coiffure que Jessie lui bidouillait.
" Tu as vraiment cru que j'allais réviser ce ramassis d'inutilités ? Je ne compte pas devenir professeur Pokémon à ce que je sache ! Et tu crois quoi ? Qu'être dresseur s'apprend dans les manuels ?! C'est dehors que tout se passe mon petit James. L'école de la vie, ça ne te dit rien ? " se moqua t-elle en roulant sur sa couverture.
" Heu tu n'as pas tort dans un sens...mais on fait quoi du coup pour les examens...? "
" Les exams ?! Voyons James, on n'a jamais suivi un vrai cours sans somnoler ou papoter...Il est un peu trop tard pour s'intéresser à ces fichus cours...et puis nous sommes bourrés de talent, on trouvera forcément le moyen grâce à nos super-cerveaux d'avoir la moyenne. Allez, lâche-moi ce satané bouquin et viens te battre avec moi ! " lui ordonna Jessie, lui subtilisant le manuel. James se redressa en prenant un air faussement contrarié, malgré le grand sourire amusé qui restait flanqué sur son visage.
" Tu es vraiment incorrigible Jessie ! J'espère que tu as conscience de la mauvaise influence que tu as sur moi ? " l'interrogea t-il en rigolant.
" Ah comme si tu avais besoin de moi pour mal te comporter. Tu caches bien ton jeu à jouer les apeurés, mais tu n'es pas mieux en matière de bêtises ! "
" Ah oui ? Tu vas voir !" James s'élança sur son amie en la plaquant contre son oreiller et lui chatouilla les chevilles, sachant qu'elle était très sensible à cet endroit là. La jeune fille se mit à rire terriblement fort, ne pouvant se contrôler, encourageant malgré elle son camarade à continuer. Ses yeux embués par des larmes nerveuses perçurent néanmoins la silhouette de Cassidy, plantée devant la porte de sa chambre, les bras croisés sur sa poitrine. Jessie se redressa d'une traite et poussa négligemment James de côté, se dirigeant vers sa petite amie qui la dévisageait d'un oeil noir.
" Eh bien...je vois que toi et cet avorton êtes désormais inséparables. " lui siffla t-elle entre ses dents.
" Ce n'est pas ce que tu crois Cassie...on ne faisait que réviser, puis James m'a lancé un pique pour me taquiner et cela a fini ainsi mais il ne se passe rien entre lui et moi... "lui chuchota t-elle dans une voix plus douce, presque implorante en attrapant son bras. La blonde se retira dans un geste de dégout.
" Réviser ? Tu te fiches de moi ? Certaines de mes amies qui sont dans ta classe disent de toi que tu es une élève perturbatrice, c'est à peine si tu viens à tes cours..."
" Tu me connais, je n'ai jamais été une intellectuelle mais tu verras...j'aurais mes examens. Et en ce qui concerne James et moi, ce n'est qu'un ami, je te l'assure. Cass, c'est toi que j'aime tu le sais..."
" Ah oui ? Laisse-moi en douter...tu as couché avec lui, c'est ça ? Allez avoues Jessie ! Tu ne viens plus beaucoup me voir parce qu'il te baise tous les soirs oui ! " déclara la blonde en accentuant cette fin de phrase, de manière à ce que les autres filles du dortoir les entendent. Dans l'impulsion la plus totale, Jessie lui gifla la joue pour la faire taire, furieuse que Cassidy pense ça d'elle. Son amie porta une main à sa pommette endolorie, et, portée par les regards curieux des voisines de l'internat qui avaient accouru pour observer la dispute, elle rendit la claque à Jessie qui se laissa faire, regrettant déjà son acte précédent. " Espèce de traînée ! " lui envoya t-elle avant d'aller se réfugier dans la chambre d'une des filles. Jessie ne releva même pas l'affront, préférant se convaincre que cette histoire allait s'arranger. Après tout, un nouveau malheur ne pouvait pas lui tomber dessus, n'est-ce pas ? La jeune fille allait prouver à sa colérique petite amie qu'elle réussirait.
Le tableau des résultats afficha pourtant le contraire quelques mois plus tard, plaçant Jessie et James en dernière position du classement. Tous deux, malgré leurs paroles provocatrices, furent très émus par cet échec : James se demandait ce qu'il allait advenir de lui maintenant qu'il avait touché le fond scolairement parlant, tandis que Jessie se maudissait de ne pas avoir pu tenir la promesse de contredire Cassidy. Ils passèrent la soirée à se plaindre en pleurant à chaudes larmes, se voyant déjà redoubler l'année suivante. Au bout de trois heures d'auto-stigmatisation, les deux compères décidèrent de se ressaisir. Ce fut Jessie, qui pris les devants, et se redressa, le poing férocement levé.
" Haut les coeurs James ! Cette année est terminée de toute manière, on ne peut pas revenir en arrière. Alors faisons un truc fun pour rester sur une note positive ! Tu sais ce qu'il se passe dans trois jours ? "
" Heu....on mange des frites à la cantine non ? " renifla James dans une toute petite voix.
" Mais noooooon gros bêta ! Le bal de fin d'année ! Ce n'est pas parce que nous sommes nuls en cours que l'on doit se priver de cet évènement. On va danser dans de beaux vêtements, et oublier tout ça en s'amusant comme des fous ! Tu en penses quoi ? " s'exclama Jessie, qui ne pensait qu'à reconquérir Cassidy durant cette soirée. Après tout, rien n'était perdu...Jessie allait revêtir la seule robe qu'elle possédait, trouvée dans une fripperie, mais qui était loin d'être la moins belle, et séduire la blonde de manière à ce qu'elle ne lui résiste pas. James accepta de venir à ce bal, réticent à l'idée de se retrouver dans une grande salle de réception, ce qui lui rappelait avec effroi son enfance. Cependant, Jessie lui avait assuré qu'il passerait une soirée géniale ensemble donc il se laissa entraîner dans le délire de son amie. Le jour J, Jessie avait enfilé une longue robe bleu azur, cliché absolu de la tenue de bal de promo des adolescentes. Elle avait défait ses longues tresses pour se faire une queue de cheval haute qui retombait jusque dans le creux de son dos courbé. Elle s'admira une nouvelle fois dans le miroir, contemplant le travail de maquillage qu'elle avait accompli, elle qui n'avait jamais vraiment voulu mettre de rouge à lèvres auparavant. Jessie trouva que cela lui allait plutôt bien, et c'est d'un pas confiant qu'elle rejoignit le gymnase transformé en salle de danse pour la soirée. Elle remarqua à peine James, tapi dans un coin de la salle qui attendait l'arrivée de sa camarade hâtivement car il ne se sentait pas du tout à son aise, vêtu d'une ample chemise blanche et d'un pantalon noir. A vrai dire, le regard fardé de la jeune fille se posa instantanément sur les cheveux blonds de Cassidy, qui cascadaient le long de ses reins. Son amie portait avec élégance une robe pastelle qui avait certainement dû couter une petite somme. Elle était tout simplement magnifique, postée à la vue de toute personne qui entrait dans le gymnase, tel un mannequin dans une vitrine que l'on contemplait de loin en admirant la finesse de l'anatomie épousée par la couture des parures. James pensa la même chose en apercevant Jessie, en la considérant comme une femme pour la première fois. Le plus fou était de penser qu'il la cotoyait depuis maintenant six mois et qu'il n'avait jamais remarqué à quel point elle était charmante. Bien sûr qu'il l'avait trouvé mignonne dès le jour de son arrivée mais ce soir c'était différent : sa silhouette ondulait en suivant le tissu bleuté qui recouvrait son corps féminin. Elle avait l'air invincible perchée sur ses petits talons effrités pourtant son regard se perdait au loin, dans une expression incompréhensive mélangée de tristesse et de surprise. Elle apparaissait au jeune homme dans sa plus belle dualité : une jeune femme sûre d'elle mais fragile à la fois. Il lui semblait que malgré sa stature élancée, elle pouvait chuter à n'importe quel moment...Le temps qui paraissait s'être figé au cours d'une minute se remis en route, et Jessie se précipita avec assurance vers la jeune blonde qui continuait de lui tourner le dos, conversant avec ses copines. Cassidy, à l'entente des escarpins de Jessie qui claquaient le sol,se retourna dans la direction de la rousse. Elle la trouvait ravissante, malgré tout elle ne pouvait réfréner sa haine à la vue de Jessie; elle désirait la blesser pour la punir de son attitude : Jessie l'avait trompé avec ce nigaud de James, elle en était persuadée, alors qu'elle avait prétendu ne pas être prête pour aller plus loin. Elle l'avait giflé, blessé, humilié devant ses amies. Et Cassidy savait combien la réputation était précieuse dans cette école. Jessie avait voulu s'enfoncer dans son impopularité...très bien, mais elle n'entraînerait jamais la jolie blonde dans sa déchéance. Après tout Cassidy valait bien mieux qu'elle, venant d'un milieu sophistiquée, avec ses excellents bulletins de notes et sa sociabilité remarquable. Non, Jessie ne gâcherait pas tout.
" Eh bien dîtes-moi...ne serait-ce pas Jessie, notre première de la classe, que voilà ? " railla t-elle en mettant sa main devant sa boucle recouverte de gloss pour rigoler faussement. Les filles qui l'entouraient se mirent à rire à leur tour en méprisant Jessie dans sa robe bon marché.
" Cassidy...." commença la rousse avant d'être coupée par la blonde qui s'avança d'un pas vers elle.
" Au cas où tu ne l'aurais pas compris Jessie, éloigne-toi de moi. On ne mélange pas les torchons et les serviettes. " Jessie plongea son regard dans le sien, ne comprenant pas la méchanceté de Cassidy, et tenta d'obtenir une réponse en murmurant un "Et nous deux...?" La blonde eut un pincement au coeur mais se reprit, en agrippant la main de l'unique garçon qui se trouvait aux alentours. Et là, devant les yeux de Jessie, elle l'embrassa avec fougue, faisant voyager sa main avec insistance sur la nuque du jeune homme qui lui agrippa les fesses à travers sa robe violette. Cassidy se retira en jetant un regard de défi à Jessie dont le coeur se brisait morceaux par morceaux, seconde par seconde...
" Ca tu vois ma jolie, c'est ce que l'on appelle un vrai baiser....enfin tu dois connaître, toi qui es une vraie traînée après tout, n'est-ce pas ? " Jessie resta la gorge nouée et le souffle coupé, ne pouvant se décider à bouger, les oreilles bourdonnants à l'entente des élèves qui se moquaient d'elle. Elle se rua en un éclair à l'extérieur du gymnase, suivie par James qui ne l'avait pas quitté des yeux. Des larmes montèrent à nouveau dans ses iris saphirs tandis que son ami, inquiet pour elle essayait de comprendre ce qui se passait. A nouveau les paroles de sa mère résonnèrent dans son esprit "Tu dois te montrer forte... tu dois te montrer forte...tu dois te montrer forte. ...fais-le pour moi.". Jessie serra ses poings et retint ses sanglots à nouveau. Le son de la voix de James qui tentait de rentrer au communication avec elle depuis tout à l'heure lui parvint enfin aux oreilles. "Jessie ! Jessie ! Attends... Je t'en supplies, qu'est-ce qui ne va pas ?! " La jeune fille souffla un bon coup et releva la tête vers le jeune homme.
" James, partons d'ici. Nous n'y avons plus notre place. "
" Quoi ? Mais-mais où veux-tu aller ?! "
" N'importe où mais partons. "
James perçut dans la voix de son amie, la même détresse qu'il ressentait quand lui aussi avait eu le besoin de fuir loin de chez lui. Quelque part, il la comprenait et respectait son choix.
" D'accord Jessie. Je te suis."
Cela faisait des jours entiers que Jessie et James marchaient sans véritablement savoir où aller. Ils se nourrissaient de sandwichs ou de cookies, grâce au reste d'argent que possédait le jeune homme. Jessie avait demandé une fois à ce-dernier où il s'était dégoté tous ces billets et James lui avait menti en prétextant qu'il l'avait volé dans le portefeuille d'un passant avant d'intégrer la Pokémon Teck. Cela avait étonné la jeune fille, surprise que son ami si candide soit capable d'un tel larcin, mais une fois le choc passé, elle aussi avoua que cela lui était déjà arrivée plusieurs fois de commettre des vols à l'étalage. L'amitié entre les adolescents s'avérait tellement simple qu'aucun des deux n'avait cherché à savoir d'où l'autre venait. Jessie supposait que James avait fugué d'un foyer pauvre car, au vue de sa culture impressionnante, il avait du s'ennuyer chez lui au point de s'enfuir pour chercher un but à donner à sa vie. En fait, elle le considérait comme un enfant sans histoire qui ne savait pas vraiment dans quoi il s'embarquait en partant avec elle, mais comme Jessie ne voulait pas se retrouver seule dans la nature, cela l'arrangeait d'avoir la présence du garçon à ses côtés. James quant à lui ne préférait pas se poser la question : dans son esprit, Jessie se révélait être une sorte d'électron libre, une gamine qui ne sortait de nulle part et qui avait croisé par chance son chemin à lui. Il se plaisait à penser que c'était sa bonne étoile qu'il l'avait envoyé car de toute manière le jeune homme n'aurait jamais pu prendre l'initiative de quitter cette école qu'il n'aimait pas si elle ne l'avait pas obligée à le faire. De toute manière James ne voulait pas poser de théorie sur la situation de son amie, craignant quelque part d'être déçu. Ainsi tous deux maintenaient le voile concernant leur passé et cela leur convenait parfaitement car au fond ils ne souhaitaient pas forcément s'en souvenir.
Un soir, il s'arrêtèrent sur la plage d'une ville maritime nommée Soleilville afin de se laver ,eux et leurs vêtement, dans une cabine de douche. Une fois propres, il se posèrent au bord de l'eau et regardèrent les rayons du soleil se coucher à l'horizon.
" - Dis Jessie...tu crois qu'ils ont remarqué notre absence à l'école ? " demanda James en posant les yeux sur son amie, étendue sur le sable.
" On s'en fiche de toute façon, nous sommes loin de ces crétins à présent..." lui répondit-elle à demi-sommnolante.
La sérénité de Jessie étonnait le garçon qui ne comprenait jamais comment elle faisait pour relativiser et rester optimiste dans n'importe quelle situation. Pourtant il le savait, elle n'était pas partie de la Pokémon Teck pour des raisons dérisoires. James ignorait concrètement ce qu'il s'était passé entre Jessie et cette fille blonde, ni ce que cette-dernière avait pu infliger à son amie mais il estimait que celle-ci avait beaucoup souffert. Parfois il la surprenait en train de pleurnicher la nuit quand elle pensait qu'il ne l'entendait pas, et dans ces moments-là, James voulait la serrer contre lui en lui promettant que tout allait s'arranger bien que lui-même ne soit pas sûr de percevoir de quoi leur lendemain de vagabonds serait fait. A vrai dire, c'était elle qui lui donnait de l'espoir et non l'inverse : Jessie représentait sa bouée de secours, il n'avait jamais rencontré une personne aussi fougueuse et vivante qu'elle. En plus elle était tellement jolie ainsi allongée sur le tapis doré sablonneux, encadré par ses soyeux cheveux plus longs que jamais, qu'elle tentait de discipliner chaque matin, en les tirant dans une drôle de coiffure ondulée. Elle ressemblait à une petite fille ainsi couchée par terre mais son corps naissant de jeune femme démontrait le contraire. James ne tentait pas de comprendre ce qu'il ressentait pour elle, perdu entre une amitié qui revêtait des allures de fraternité, et une attirance toute nouvelle qui se confondait parmi les sentiments d'affection profonde qu'il éprouvait à son égard. Il était juste heureux de l'avoir au près de lui, et touché qu'elle continue à l'accepter sans le forcer à être une autre personne. Avec elle il pouvait tout bonnement être lui-même et finalement, c'était plus que tout ce qu'il avait osé espérer un jour de la vie.
La nuit tomba assez rapidement et les deux compères s'endormirent l'un à côté de l'autre sur la plage, bercés par la douce oscillation des vagues.
" Hey les deux rigolos, debout là-d'dans ! Vous zonez sur notre espace d'entraînement aux dérapages ! Du balai ! "
James à peine réveillé, se frotta les yeux pour apercevoir, les encerclant, un groupe d'adolescents vêtus d'accoutrements punk. Effrayé par les voyous, il lâcha un cri aiguë et se releva d'un bond, tout en essayant de trouver Jessie du regard. Il la vit en pleine discussion houleuse avec ce qui semblait être le chef de la bande.
" Non mais vous vous croyez où ?! La plage est à tout le monde à ce que je sache ! Et puis d'abord pourquoi ce serait à nous de déguerpir hein James ?! " apostropha la jeune fille, prête à tout moment à asséner un coup de poing dans le visage du garçon aux cheveux flamboyants en face d'elle. Son ami déglutit alors que les têtes des autres membres se tournèrent vers lui, il s'imagina fondre sur place tant il était terrifié. Aucun d'eux ne savait de quoi ces brutes étaient capables et le comportement provocateur de Jessie n'arrangeait rien du tout : James se voyait déjà piétiner par les impressionnantes roues des vélos, et à cette pensée, des larmes embuèrent le bord de ses yeux.
" Jessie on-on peut toujours aller se trouver un autre endroit où dormir après tout le-le bruit de la mer est assez contraignant et euh..." commença le jeune homme embarrassé. Il se dirigea vers son amie pour lui faire comprendre qu'ils devaient partir mais à ce moment-là, une jeune fille aux cheveux verts lui barra la route.
" Ta copine parle un peu trop Belle Gueule ! Si elle veut s'en tirer indemne, il va falloir qu'elle nous affronte dans un combat Pokémon ! ". James ne préféra pas relever le surnom déplacé que la jeune racaille lui avait donné et murmura dans un sanglot "Mais nous n'avons paaaas de Pokémon...". Voyant que les membres de la bande n'étaient pas décidés à les laisser tranquille, Jessie empoigna la chaîne de l'un deux qui demeurait à terre et commença à la faire tournoyer à toute vitesse.
"Poussez-vous ou sinon je vous assomme tous autant que vous êtes !" leur hurla t-elle avant de s'emparer de la bicyclette du chef et de l'enfourcher tout en continuant à faire tourner la chaîne au-dessus de sa tête. Jessie démarra maladroitement, et lâchant sa deuxième main, elle agrippa James et le fit monter sur le vélo, derrière elle, avant de décamper à toute allure.
" Cette fille est totalement déchaînée ! Pourtant il faut bien avouer qu'elle a du style ! " déclara la fille aux cheveux verts, admirative. James avait enfoui son visage dans le cou de son amie, serrant sa taille pour ne pas tomber du vélo. Les rires de Jessie le poussèrent à relever les yeux et mu par un sentiment de liberté totale, il leva gauchement les bras en l'air profitant de la brise marine qui soufflait dans ses cheveux. Le jeune homme n'avait jamais ressenti pareille émotion : ainsi, dévalant les dunes à toute vitesse, embaumé par le parfum de sa meilleure amie qui se mélangeait avec l'odeur iodée des vagues, il avait l'impression de pouvoir tout conquérir. Malheureusement, leur cavale effrénée se termina quand un Racaillou se plaça en travers de leur chemin, les menaçant avec de gros rochers qu'il s'apprêtait à leur balancer dessus. Jessie freina à contrecoeur en esquissant une grimace. Le reste de la bande attroupa et encercla à nouveau le duo. James se colla à nouveau contre son amie, craignant que cette-fois-ci le châtiment ne soit plus grave.
" Vous-deux ! Vous n'avez nulle part où aller, n'est-ce pas ? C'est pour ça que vous dormiez sur la plage ?! Personne n'avait jamais osé me tenir tête de cette manière ! " leur lança t-il en récupérant sa bicyclette. Il serra son poing sur la main de Jessie qui tenait la chaîne et avec étonnamment laissa la jeune fille la garder dans sa paume.
" J'ai jamais vu deux cinglés comme vous ! Toi la rouquine, ce truc que tu fais avec ta chaîne est purement dément ! Et toi beau gosse, tu as beau sembler être le plus grand trouillard du monde, je dois bien avouer que tu m'as épaté quand tu étais derrière ton amie sans t'accrocher alors qu'elle roulait à cent à l'heure ! Rejoignez notre gang ! De toute façon vous n'avez pas le choix sinon on vous jette dans la mer. "
Les sourcils de Jessie se froncèrent et elle afficha un petit sourire amusé.
" Ok, ça marche le caïd ! ". La jeune fille se retourna vers James qui hocha la tête doucement, peu convaincu par le choix de son amie. Cependant en se rappelant ce qu'il avait éprouvé sur le vélocycle, il ressentit à nouveau le besoin de connaître cette sensation de lâcher-prise entière.
" Bien on vous ramène à la piaule alors ! Et au fait, moi j'm'appelle Cyclo et au cas où vous ne l'auriez pas encore compris, je suis le leader de cette bande d'as de la pédale ! C'est quoi vos p'tits noms ? "
" Je m'appelle Jessie et voici James, mon meilleur ami ! On vient tous les deux de Jadielle. "
" Jessie.... Jessie la Terreur ouais ! T'es pas une gamine comme les autres toi ! Faudra que tu m'apprennes ta technique avec la chaîne, c'était carrément sensass' !" lui déclara Cyclo en passant un bras autour des épaules de la jeune fille. En voyant le comportement d'une jeune homme aux cheveux vermillon envers Jessie, le sourire de James disparut. Le chef draguait ouvertement sa camarade et en tant que meilleur ami, il se devait de la protéger des mauvais garçons qui tournaient autour d'elles pour l'importuner. Alors qu'il s'apprêtait à s'interposer entre eux, la jeune fille aux cheveux verts lui donna un coup de coude moqueur.
" James....huuum....c'est plutôt classe comme prénom pour un gamin de la rue... Tu viens réellement de la téci de Jadielle toi ? "
" Heeeeeu ouais. Tu sais je suis juste un garçon sans maison qui s'est enfui de l'école...rien de plus, haha. " tenta t-il de se rattraper.
" Mouais. Je trouve que ça fait beaucoup trop bourge comme prénom. On va t'appeler Jimmy tiens. Cela te va beaucoup mieux, à toi et à ta jolie petite bouille, Belle Gueule !"
Le soir même, après avoir visité le squat dans lequel vivait le gang, les deux amis se posèrent dans un grand canapé délavé mais plutôt douillet, à leur grand étonnement.
" Jess, tu crois vraiment que l'on a bien fait d'intégrer cette clique ? Je ne sais pas trop, ils n'ont pas l'air très fréquentables..."
" Oh James il faut toujours que tu vois le danger partout...tu sais, ce sont souvent les personnes les plus démunies qui ont le plus à offrir, soupira t-elle en songeant à sa défunte mère, et puis, regarde : nous avons un toit, de la nourriture et cette lubie pour le vélo n'est pas désagréable, au contraire. En plus nous avons la chance d'être encore tous les deux. "
Le jeune homme se sentit rougir à cette dernière parole. Jessie n'avait pas tort et le simple fait de savoir qu'elle était à ses côtés parvint à le rassurer.
" Tu as raison. Ici ou ailleurs, cela n'a pas d'importance tant que nous sommes ensemble."
Observant par une brèche dans le sol, le cours de danse situé juste sous ses pieds, Miaouss tenta de se lever, appuyé contre un mur du grenier. La sensation de se tenir sur deux pattes demeurait totalement nouvelle pour lui. Il lutta avec son mauvais sens de l'équilibre qui le poussait à revenir à sa posture quadrupède initiale. Ses pattes arrières s'avéraient encore beaucoup trop fragiles et instables pour supporter le poids de son corps entier.
"Grandissez-vous mesdemoiselles ! Si vous voulez réussir vos pointes il faut que vous soyez gainées et droites, comme si vous vouliez conquérir le monde ! " ordonna le professeur de danse en aval. Miaouss écouta les indications de l'homme. Lui, il désirait plus que tout conquérir le coeur de Miaoussie. Pour cela, il devait lui montrer qu'il était grand et sûr de lui. Marcher comme un humain lui permettait de se rapprocher de ce qu'elle chérissait. Alors peut-être qu'elle accepterait son amour et ainsi, tous deux pourraient former un joli petit couple : il se voyait déjà la recouvrir de câlins et lui déclamer son amour en langage humain. Plus jamais il n'aurait à se sentir seul ou abandonné. Le carton crasseux dansa devant ses pupilles et soudain, le chat Pokémon s'écrasa face contre terre. La simple pensée de ses jours de survie dans le froid à attendre sa mère déjà morte, ou celle de ses soirées passées le ventre vide, affamé car un autre Miaouss de la horde lui avait ravi sa becquetée, le poussa à se relever. Toujours en se tenant au mur, il avança doucement vers le fond de la pièce dans laquelle il avait dégoté de vieux bouquins éducatifs poussiéreux. Il se posa pour poursuivre son apprentissage périlleux de la langue humaine. Le livre illustré lui donnait à voir de jolies images qui mettaient en scène des personnages ou des objets colorés dont les initiales lui permettaient d'assimiler l'alphabet. "M" comme mariage. Il transférait sur la page où un couple était dessiné, leur visage à lui et Miaoussie. Avoir une présence à ses côtés pour toujours lui semblait être un rêve inespéré. Il essaya de reproduire le son nasalisé de la consonne "M" mais l'enchaînement des syllabes du mot entier ne s'avérait pas une tâche simple. Il ne put obtenir qu'un pathétique "Miaria" et les voyelles accolées demeuraient imprononçables pour lui actuellement. Miaouss tourna les pages suivantes et déboucha sur la lettre "R" qui était illustrée par une fusée Rocket. Le chat observa le mot et remarqua que les sons paraissaient faciles à répéter. Dans un ronronnement il sortit la consonne fricative "Rrrrr" pour déboucha sur le son "Ro". Il s'entraîna pendant toute une soirée à sortir la suite des syllabes, s'accrochant étrangement à ce mot. La fusée représentait pour lui le moyen de s'élever au-dessus de la masse, d'aller décrocher les étoiles et rejoindre la lune. Oh que oui Miaouss aimait la lune. Il se surprenait à rester à la contempler pendant des heures : quand il avait perdu tout espoir à plusieurs reprises, que ce soit de son carton ou à travers les fenêtres brisées de l'entrepôt désaffecté dans lequel la meute de félins se regroupait, le chat se tournait vers elle dans la pénombre nocturne. Il lui semblait que malgré sa disparition durant la journée, à chaque nouvelle nuit, elle réapparaissait plus grosse que jamais et brillait uniquement pour lui. Sa forme ronde le fascinait et sa lointaineté lui donnait des frissons : comment un astre aussi éloigné et majestueux pouvait-il se permettre de revenir pour lui tous les soirs ? Miaouss en était persuadé, cela ne pouvait être qu'un signe : il était voué à de grandes choses et son amie la lune, si seule perdue au milieu de l'océan de constellations, lui confirmait qu'en continuant de luire, on pouvait bien se faire une place dans ce monde obscur. Alors plus déterminé que jamais, le chat se replongea dans son apprentissage acharné, espérant lui aussi se faire une place dans le coeur de sa bien-aimée.