6. Découverte
Quinze ans, et contrairement à ce que les hypocrites associés de ses parents assuraient en le voyant, ce n'était pas du tout le plus bel âge pour James. Il n'avait pas encore fait sa poussée de croissance et sa voix peinait à muer totalement. Les gouvernantes continuaient encore et toujours à habiller le jeune garçon comme un gosse de bourge, lui mettant sans cesse des tenues qui l'infantilisaient au possible. Parfois il enviait tellement le petit dresseur de leur manège à Ponyta qui portait des vêtements, certes dont le style n'était pas très recherché, mais qui semblait à James être ce qu'il y avait de plus confortable au monde. Le gamin d'un an son cadet ne lui parlait jamais car les parents de James avait interdit à leur fils d'entrer en contact avec ce pauvre garnement de la plèbe qui n'avait rien trouvé de mieux comme activité que d'apprendre le débourrage de chevaux. Non, vraiment, une personne impossible à fréquenter. Quinze ans s'avérait aussi être l'âge auquel le jeune adolescent devait rejoindre les bancs du lycée académique à la rentrée prochaine, l'angoissant au plus haut point. Quinze ans, cela paraissait pour James comme une éternité, une éternité qu'il contemplait encore accoudé à la même fenêtre depuis des années, se sentait atrocement à l'étroit dans ce manoir oppressant. La liberté et l'évasion battaient plus que jamais dans le coeur du garçon qui se rappelait surtout que quinze ans, était l'âge qui le reprochait inexorablement de ce mariage avec Jezabelle, la fille qu'il haïssait et craignait plus que n'importe qui. Les zébrures qui striaient son dos s'étaient renouvelées sans cesse pendant un temps mais à présent, elles commençaient à s'estomper : James avait compris ses leçons, et en présence de sa fiancée, il ne commettait aucun faux pas. Le garçon ne pouvait plus être lui-même ou du moins, plus devant Jezabelle ou ses parents. La seule chose qu'il s'autorisait toujours était de se perdre dans sa contemplation de capsules de bouteilles, objets qui lui rappelaient que malgré les années qui filaient à toute allure, des reliques de sa vraie personnalité ne s'altéreraient jamais. Un après-midi de déprime comme il en connaissait régulièrement, James se précipita dans le petit salon rouge de l'aile ouest du manoir. Il s'accroupit, et à tâtons, chercha sous le luxueux canapé, son vétuste coffret dans laquelle il avait secrètement rangé ses richesses métalliques. La vue de cette banale boîte beaucoup moins précieuse que ce qu'elle renfermait, lui suffisait à retrouver le moral et chaque fois que le garçon, pénétrait le salon, une chasse au trésor se rejouait dans son esprit : il était le flibustier qui découvrait une nouvelle terre inconnue et devait retrouver les biens qui s'y cachaient. Pourtant, en se saisissant de l'objet étonnamment trop léger, aucun cliquètement ne se fit entendre. James inquiet ne voulait pas y croire, il souleva le couvercle et pour découvrir, horreur, que le contenu de la boîte était vide. Toutes ces précieuses capsules de bouteille avaient disparu, sans exception. Quinze ans d'une vie qu'il avait eu le plus grand mal à supporter, envolés du jour au lendemain. Il avait beau trouver son existence insupportable, son regroupement de capsules lui avait permis de relativiser et de se construire son petit univers rien qu'à lui. Mais là s'en était trop. James ne pouvait plus endurer ces peines plus longtemps. Il fallait qu'il parte, loin de ses indignes parents, loin de cette prison dorée qu'incarnait le manoir, loin de ses futurs camarades d'école tous plus friqués et cruels les uns que les autres, loin de sa cinglée de fiancée. Partir loin pour ne jamais revenir. Le soir-même, James se confectionna un sac contenant le strict minimum pour voyager léger : des vêtements qu'ils avaient emprunté au petit dresseur de Ponyta histoire de passer inaperçu, des biscuits en guise de collation, une liasse de billets qui constituait tout de même une jolie somme dérobée dans l'armoire de la chambre principale de ses parents, des feuilles à dessin sur lesquelles étaient griffonnées des poèmes, des photos prises chez ses grands parents...d'ailleurs en pensant à eux, le garçon laissa échapper un soupir : il avait pensé à fuir chez eux, mais il était conscient que ses parents iraient directement le retrouver là-bas....il ne voulait pas leur attirer d'ennuis. James ne savait pas encore où se rendre, malgré tout, il était certain de ne pas vouloir rester chez lui. Le destin ferait les choses, pensa t-il. Tard dans la nuit, après que sa gouvernante principale vint vérifier qu'il dormait -ou plutôt figurait de dormir - à poings fermés, le jeune adolescent entreprit de nouer muettement des étoffes, des plaids et des draps de soie entre eux. Il fixa solidement le bout de sa corde improvisée au crochet du volet satiné de sa chambre à coucher et, répétant ce qu'il avait appris au cour de gymnastique du collège, il se laissa glisser le long des tissus. Pataud, il loupa l'avant dernière pliure du drap à laquelle il devait s'accrocher et se réceptionna lourdement sur les fesses. Peu importe, il courut à grandes enjambées en direction de la niche de Caninou afin d'accomplir la tâche la plus difficile qu'il lui restait : dire au revoir. Son chien se réveilla, sentant instinctivement son odeur et tambourina contre la porte. James qui possédait un double des clés de la niche, rentra sans difficulté à l'intérieur, accueillit par son Caninos euphorique car son maître ne venait jamais lui rendre de visites la nuit. Le garçon attristé le calma en le prenant entre ses bras; ce geste fit comprendre au chien la gravité de ce qui allait suivre.
" Ecoute mon toutou...je dois partir du manoir. Je n'ai pas d'autre alternative. Je ne sais pas quand je reviendrais...mais c'est sûr, un jour je viendrai te chercher. Je te le promets. " murmura t-il en reniflant. Caninou lui lécha la joue en gémissant, quémandant à James le droit de s'enfuir avec lui.
" Tu es conscient aussi bien que moi que je ne peux pas t'emmener avec moi mon Caninou.... Tu es pucé, mes parents vont automatiquement remonter à notre trace et puis ici au moins tu mènes une belle vie avec toute la nourriture et le confort qu'il te faut...moi ce n'est plus de tout cela dont j'ai besoin. De plus, je compte sur toi pour veiller sur ma famille aussi parfaitement que tu as pris soin de moi. P-puis compter sur toi Caninou ? " demanda James en essuyant ses yeux plein de larmes. Le Pokémon chien hocha la truffe et se redressa, fier et vaillant, faisant honeur à son pedigree. Le garçon sut alors qu'il pouvait fuguer le coeur moins lourd.
James s'élança à toute vitesse le long de l'interminable allée pavé qui menait au portail argenté, sentant le vent nocturne lui caresser le corps et le soulevant tel un prince jusqu'à la sortie. En montant agilement à un arbre, James poussé par la fougue s'élança au-dessus des remparts pour atterrir de l'autre côté du domaine. La vie commençait à présent. L'objectif principal de James pendant les semaines qui s'écoulèrent fut de s'éloigner le plus loin possible de sa ville natale. Les premiers jours s'avérèrent périlleux car le garçon devait dormir à la belle étoile ou se laver dans l'eau des sources (la nourriture ne fut pas un souci car il avait assez d'argent pour tenir deux ans au moins en mangeant deux repas raisonnables par jour), mais ces expériences étaient tellement inédites pour lui que malgré son appréhension, il se laissa prendre au jeu. En revanche son périple dut connaître une fin au bout de cinq semaines de vadrouille, car plus il voyageait sur les routes, plus il apercevait des affiches avec son visage imprimé en dessous d'une phrase composée de caractères majuscules "AVEZ-VU VOUS CET ENFANT ?". James songea à se réfugier quelque part pour ne plus ensuite se déplacer mais il ignorait totalement où. Il entendit par le bouche à oreilles parler d'une école non loin de Carmin-sur-Mer où l'on formait de jeunes élèves à devenir des dresseurs accomplis. L'adolescent trouva que cette solution lui permettait de trouver à la fois une vocation et un toit, sans parler du fait qu'il avait de quoi se payer les frais de scolarité sans devoir passer par l'aide de sa famille.
Jessie resserra pour la énième fois ses deux nattes et épousseta sa jupe plissée taupe qu'elle trouvait finalement trop courte. Cassidy lui avait conseillé de mettre son corps en valeur plutôt que de cacher ses courbes naissantes.
"Tu es certaine que cela ne me portera pas plutôt préjudice ? Je ne sais pas, c'est peut-être un peu vulgaire pour aller dans un centre de formation, non...?" avait balbutié Jessie en se regardant dans le miroir de plein pied. Elle commençait juste à s'habituer à voir son corps changer et voilà que sa meilleure amie lui proposait déjà de porter des tenues étriquées.
" Hey relax Jess, c'est juste une jupe ! N'importe quelle personne qui pourrait trouver cela osé n'aurait qu'à remonter le regard pour constater que ton haut est totalement correct. Oh et puis tu es toute mignonne dans cet uniforme, crois-moi, quand on a de jolies jambes comme les tiennes, on les montre ! Pourquoi tu crois que toutes les descendantes des infirmières Joëlle obtiennent le poste ? Elles ont toutes une morphologie impeccable pour porter la blouse ! Et toi tu seras la première infirmière Jessie et de plus, tu seras la plus sexy de toutes !" l'avait taquiné la blondinette en balayant l'air de sa main toute juste manucurée.
D'un pas décidé, Jessie entra dans le hall du centre de formation en médecine. Elle jeta des coups d'oeil sur les différents stands dans le but d'aller chercher des informations sur le métier d'infirmière...
"Attends tu as quoi choisi quoi ? Répète-le encore une fois que je me marre !" se bidonna un adolescent brun au corps athlétique qui jonglait avec un ballon de football.
" Une école de Leveinard ! Et il n'y a rien de drôle Matt ! C'est pas de ma faute si toutes les écoles d'infirmières étaient déjà complètes pour la rentrée prochaine...." répliqua Jessie en affichant une mine boudeuse.
" Allez Jessie ne fais pas la tête ! Tu vas bien t'amuser au moins avec tous ces empotés de Leveinard autour de toi ! Et puis tu ne devrais pas avoir trop de concurrence au moins ahahahaha ! Au fait tu vas emmener le collier que je t'ai acheté, avec toi j'espère ? Comme ça, tous ces Pokémon sauront que tu es à moi et je n'aurais pas peur qu'ils viennent te draguer !" s'esclaffa le Matt en question.
" Tu es vraiment lourd parfois. Mais bon je t'aime quand même. " grommela Jessie avec un sourire. Aimer était un bien grand mot et Jessie avait conscience que ce qu'elle ressentait pour le garçon relevait plus de l'attirance que du sentimentalisme. Après son été chaotique à chercher son orientation avec l'aide de Cassidy tout en pleurant les larmes de son béguin perdu, Astin, qu'elle ne cessait de voir dans les concours à la télévision, elle avait fait la connaissance de Matt, un jeune sportif rencontré alors qu'elle faisait son jogging hebdomadaire sur la piste d'un stade. Le garçon l'avait dragué, un peu rustiquement certes, mais après son premier échec amoureux, elle s'était facilement laissée séduire par lui et avait accepté de sortir avec. Il la voyait de temps en temps, venant la chercher à l'orphelinat pour l'emmener se bécoter sur les bancs des parcs. En apprenant qu'elle désirait partir en internat pour devenir infirmière, il lui avait offert un collier bon marché, une espèce d'ovale peinturluré de doré suspendu au bout d'une ficelle noire. Jessie avait tout de même trouvé cela attendrissant et rien que pour cela, elle ressentait une réelle affection pour Matt.
Le jour du grand départ arriva. Jessie qui s'était montrée totalement impatiente à l'idée d'apprendre le métier avait vite déchanté. Certes elle adorait ce qu'elle étudiait dans cette école, mais le fait de se retrouver seule entourée de tous ces Leveinard la rendait un peu nostalgique. Elle mangeait recluse dans son coin à la cantine et le soir en se couchant, elle n'avait que pour seule interlocutrice Cassidy au téléphone, vu que Matt ne répondait jamais à son portable. Cependant, lors d'un cours de pratique, elle avait aidé un Leveinard un peu maladroit en lui montrant avec précision comment bien nouer un bandage. Le Pokémon l'avait totalement adopté, la suivant partout et lui donnant sa portion de repas le midi. Le jour de ses seize ans, Leveinard lui prépara un semblant de mixture qui ressemblait vaguement à un gâteau d'anniversaire concocté à base de purée de la cantine et de fruits du garde manger, avec une bougie posée au sommet. Toutes deux avaient dégusté le semblant de pâtisserie et au moment d'allumer la bougie, l'alarme incendie s'était activée, aspergeant tous les dortoirs d'eau. La professeur en charge était venue les sermonner très fortement mais Jessie n'en avait cure. A ce moment-là, elle se sentait heureuse, elle qui n'avait pas célébré son anniversaire avec un ami depuis des lustres... Malheureusement, au bout de quelques mois, la jeune fille commença à saisir pourquoi l'école se disait spécialisée pour les Leveinards : elle n'y avait pas sa place, et même avec la meilleure des volontés, elle ne parvenait pas à briller autant qu'un Pokémon. Après un semestre passée dans l'établissement, Jessie partit la tête haute et le coeur lourd, triste de quitter son amie Leveinard et déçue d'essuyer à nouveau une défaite. Elle resserra sa poigne autour du collier de Matt qu'elle avait séparé en deux pour en donner l'autre moitié à sa camarade, n'ayant rien d'autre sous la main pour lui laisser un gage de leur amitié sincère. Une larme s'écoula le long de sa joue, qu'elle sécha instantanément, se voulant forte.
" J'y crois pas, tu as cassé mon collier ! Et volontairement en plus ! " hurlait Matt dans le combiné.
" Je t'ai déjà expliqué pourquoi Matt. Et s'il te plait ne retourne pas la situation à ton avantage ! Pourquoi tu ne m'as donné aucune nouvelle pendant ces trois mois ?! J'ai essayé de te joindre au moins une fois par semaine, et je tombais toujours sur ta messagerie ! C'est quoi ton problème, tu m'évites ?! " s'égosilla la jeune fille, retenant des larmes de rage.
" Ecoute je n'ai pas de temps à perdre avec une petite rabat joie comme toi qui n'est même pas fichu de décrocher un seul diplôme ! Tu fais ta fille toute candide et minaudante Jessie, mais ce que tu peux être à côté de la plaque parfois. Tu as cru vraiment que j'allais rester avec une gamine qui s'absente et refuse depuis que l'on sort ensemble, d'aller au-delà d'un simple baiser ?! " se moqua le jeune homme au bout du fil. Il ne reçut jamais de réponse à sa question rhétorique car l'adolescente lui avait raccroché au nez.
Jessie donna un coup de pied inutile dans un tas de neige. Elle émit un bref soupir qui se transforma en buée au contact de l'air froid puis se pelotonna contre Cassidy qui était venue la réconforter en ce début de novembre. La jeune blonde avait quitté l'internat de la Pokémon Teck de Carmin sur Mer, exprès pour passer son premier jour de vacances avec son amie, avant de retourner dès le lendemain chez ses parents pour quelques jours. Cassidy provenait d'une famille de la petite bourgeoisie, où tout le monde se mentait, se trompait en permanence puis la seconde suivante, se cachait derrière de faux sourires et des comptes en banque en vérité endettés. Avec Jessie, elle avait au moins l'impression de pouvoir exprimer la véritable personnalité provocatrice qu'elle dissimulait derrière un masque de petite sainte-nitouche blonde. Et puis l'histoire de cette orpheline l'avait touché, elle qui en général avait été éduquée dans l'égoïsme le plus exacerbé. Son amie essayait toujours de se donner un côté tyrannique pourtant Cassidy à force de la côtoyer avait vite perçu les failles dans le comportement de Jessie : un manque de confiance et d'affection qu'elle tentait de noyer sous une couche de colère et de fausses ambitions. La jeune fille était juste tout simplement paumée. Et cela plaisait à la blonde qui d'aussi loin qu'elle se souvenait avait toujours du être la meilleure en tout à l'école pour arriver à tenir tête aux enfants aristocrates que ses parents jalousaient à l'extrême. L'authenticité de Jessie la charmait quelque part, et elle ne pouvait s'empêcher de regarder les pommettes roses de son alliée, endolories par le froid.
" Je n'arrive pas à y croire Cass ! Ce goujat me plante à une semaine des fêtes ! Comme si le fait de me retrouver sans aucun projet d'avenir n'était pas déjà suffisant..." ronchonna Jessie en emmitouflant son menton dans son écharpe.
Un flocon tomba sur ses cils, attirant l'attention de Cassidy sur les yeux saphirs de son amie, qui exprimaient une désillusion profonde. Mince alors, quand elle la voyait aussi découragée que cela, la blonde désirait profondément la secouer et lui faire un énorme câlin.
" Jessie, intègre la Pokémon Teck. Il est possible de rejoindre l'école même après un trimestre manqué. Qu'est-ce que tu as à perdre de toute manière ? Et puis comme ça, je pourrais veiller sur toi et te pincer les joues dès que tu commenceras à te plaindre !" la nargua t-elle en lui tirant la langue. Cette grimace fit glousser Jessie qui trouvait son amie tellement drôle et fascinante. Elle admirait Cassidy pour ce côté hautain et nonchalant qu'elle possédait et dont elle savait jouer à la perfection pour se montrer cool. Peut-être que si elle aussi elle avait eu ce caractère détaché, elle aurait pu avoir n'importe quel garçon, comme Cassidy qui devait certainement tous les faire tomber. A cette pensée, Jessie se renfrogna : cela ne lui plaisait pas de savoir son amie se faire courtiser par des adolescents stupides. Elle qui était si belle et si plantureuse du haut de ses seize ans, avec son corps pulpeux qu'on avait envie de croquer. En ayant ce genre de pensées, Jessie secoua la tête en rougissant. Cassidy le remarqua et s'arrêta net devant la jeune fille, pour l'empêcher d'avancer dans la poudreuse.
" Alors tu en penses quoi Jess ? Ne me dis pas que tu as déjà trouvé une autre super école où étudier car je ne te croirai pas ! "
" Eh bien je...Je vais intégrer la Pokémon machin truc, ok. Mais attention, je le fais juste pour te surveiller et éviter que tu te fasses entourlouper par le premier gars que tu croiseras ! " lui répondit-elle sèchement avec un sourire narquois.
" Aha, tu sais très bien que la seule personne qui m'intéresse c'est toi Jess..."
Cassidy avait lâché cela d'un coup, le pensant au plus profond d'elle. Après tout, elle se souciait du sort de Jessie et elle la voyait devenir une jeune femme tout à fait attractive...alors, oui, pourquoi cacher ce qu'elle éprouvait au fond ? La rousse écarquilla les yeux, totalement décontenancée par la remarque de Cassidy, qui la fixait de ses yeux améthystes perçants. Elle se mit à rougir comme une pivoine, mais vira totalement à l'écrevisse quand son amie se rapprocha de son visage et vint écraser ses lèvres contre les siennes, dans un baiser doux et exotique à la fois. Jessie ressentit comme une boule de chaleur se répandre à l'intérieur de son ventre et réchauffer son corps engourdi par le froid. Elle lui retourna le baiser avec détermination, saisissant les petites mains de Cassidy dans les siennes, comme deux meilleures amies qui s'aimaient peut-être un peu plus, tout compte fait.
La neige tombait tellement fort dans le petit carton crasseux, recouvrant de givre le pelage crème du chaton qui se trouvait à l'intérieur. "Mia mia mia", pleurait le bébé Miaouss en appelant sa maman qui ne revenait pas depuis quelques jours. Il venait de naître quelques semaines auparavant et sa mère l'avait déposé ici dans ce coin de rue, lui disant de ne pas bouger car elle allait vite leur ramener de quoi se remplir l'estomac. Et pourtant il ne l'avait plus jamais revu. Le froid s'accentuait davantage en ce début de décembre, à l'image de sa faim qui grandissait au fur et à mesure que les jours passaient. Même s'il devait économiser ses forces, le petit Miaouss n'eut pas d'autres choix que de quitter sa cachette improvisée pour se débrouiller à trouver de la nourriture tout seul. Il quitta le carton, une patte après l'autre puis s'engouffra dans les petites ruelles de la ville. Les lumières de Noël, déjà installées, éclairaient son premier périple solitaire, de même que les vitrines aux nombreuses couleurs et victuailles qui lui faisaient terriblement envie. Il pénétra hasardeusement dans une boucherie qui allait bientôt fermer boutique, attiré par le fumée alléchant du rôti tout juste cuit. Miaouss se percha en équilibre sur ses deux pattes arrières, espérant atteindre un morceau de viande posé sur le comptoir. Cherchant à l'aveugle sa convoitise en balayant la plateforme de ses coussinets, il fut tiré d'un coup par une grosse main qui le leva dans les airs. Le boucher lui faisait face, de son regard furieux, et il le saisit à la gorge tandis que le chaton se débattait.
" D'abord cette canaille de Persian et maintenant toi, petit voyou ! Vous croyez vraiment que je vais vous laisser piller mes produits ainsi, bande de Pokémon de gouttière ?! Allez, retourne faire les poubelles comme les vauriens de ton espèce ! Et que je ne te revois plus ! " L'homme balança son prisonnier par la porte, ne se souciant guère de ce qu'il allait advenir du chaton. Miaouss entreprit un vol plané avant de déraper sur le verglas, l'obligeant à dévaler une longue pente, placée devant la boucherie. Chaque coup que le petit se prenait sans parvenir à ralentir sa descente lui faisait horriblement mal, ajouté aux courants d'air glaciaux qui le piquaient de toute part. Sa chute s'acheva dans un gros tas de poudreuse qui fort heureusement amortit l'impact. Tout devint noir dans l'esprit du châton qui se demandait s'il était enfin mort. Quelques minutes plus tard, il émergea de son léger coma, entendant les chuchotements des passants autour de lui.
" Pauvre bête, vous avez vu la chute qu'il a fait ? C'est encore un coup du boucher ça, il prend un malin plaisir à les jeter en l'air pour les punir..."
" Regardez, il émerge ! Celui-ci doit être plus résistant que les autres, c'est un miraculé ! D'ailleurs, ce serait bien que le service de la mairie enlève la carcasse du Persian...cela va faire trois jours qu'elle est là, je n'ose même pas imaginer l'effet qu'elle produit sur les enfants...." Miaous se releva, quelque peu sonné et le corps affaibli par tous ses hématomes. Il boita quelques mètres pour se retrouver face à une vision d'horreur : en effet, il avait eu une chance incroyable car, dans son malheur, il avait évité au bout de sa chute, une grosse bouche d'incendie. Cependant, les passants avaient bel et bien raison car au pied de cette bouche d'incendie, gisait le corps sans vie d'une femelle Persian. Du sang sec maintenant, entourait son crâne, indiquant qu'elle s'était prise l'objet de plein fouet. Elle était sans doute morte sur le coup. Miaouss s'approcha du cadavre froid et des larmes perlèrent au bord de ses grands yeux bleus : sa mère se trouvait devant lui, inanimée et recouverte par endroit de stalactites. Les guirlandes clignotantes illuminèrent dans un éclair les orbites vides de sa gueule. Ne pouvant supporter ce spectacle plus longtemps, le chaton détala sans se soucier de ses blessures qui l'empêchaient de galoper correctement, miaulant sa tristesse d'un hurlement nasillard "MIA MIA MIA MIA MIA! ". Son coeur battait frénétiquement dans sa poitrine, et le chaton désirait s'enfuir le plus loin possible de cette existence déjà trop injuste et désespérée. S'il avait pu se jeter du haut d'un toit, le bébé l'aurait très certainement fait, puisqu'à quoi bon vivre quand tout semblait déjà perdu pour lui ? Sa fuite effrénée fut interrompue par une grosse masse écrue. Miaouss releva les yeux vers l'obstacle pour percuter le regard sournois d'un grand chat. " NIAAAAAAAAAAA". Un Persian mâle le surplombait, lui proposant de le recueillir dans sa bande à la simple condition que le petit accepte de coopérer avec les autres Miaouss. Le chaton accepta, n'ayant de toute manière aucun autre choix de vie.
Date de dernière mise à jour : 20/02/2017