5. Sanglots
Dès les premières heure de classe, Jessie comprit que l'école n'était pas faite pour elle. Tous les cours basiques qu'on lui dispensait sur l'histoire du monde Pokémon ou encore sur les sciences des types ne l'intéressait guère et elle préférait rêvasser en décomptant les heures qui la séparaient de son prochain cours de danse qu'elle avait choisi en option. Totalement affaissée sur sa chaise de pupitre, la jeune adolescente qui commençait légèrement à somnoler sursauta dès que la cloche retentit et fila en direction du gymnase. Elle rejoignit ses deux camarades avec lesquelles elles partageaient cette nouvelle passion, après avoir troqué son uniforme scolaire contre une tenue plus sportive. Toutes trois s'échangèrent des regards complices puis se mirent à déhancher leur petit corps en rythme avec la musique qu'elles avaient choisi pour leur enchaînement. Danser faisait un bien fou à Jessie qui donnait tout ce qu'elle avait sur la piste; elle mettait toute son âme à apprendre puis effectuer des pas assez complexes tout en se sentant paradoxalement libérée de toute contrainte. Quand elle se mettait en scène, elle oubliait tous ses malheurs passés et se sentait revivre à la lumière des projecteurs, comme si l'attention dont elle avait manqué durant toutes ses années la motivait à gagner l'admiration des personnes qui la regardaient se trémousser. Ballotée de familles d'accueil en familles d'accueil à la suite de sa fuite de chez Madame Boss, elle avait compris que pour donner un sens à sa vie, il fallait qu'elle étudie un minimum pour obtenir les diplômes nécessaires à sa réalisation personnelle. Enfin, c'était ce qu'elle avait pensé avant de réaliser que jamais elle ne s'illustrerait sur les bancs de l'école mais plutôt sur le parquet de danse. Sa carrière d'apprentie star débuta alors : elle avait rencontré deux jeunes filles elles aussi âgées de quinze ans, et au vue de leur désir commun, il fut tout naturel qu'elles formèrent un trio pour se lancer à la conquête des auditions. Après maints efforts et profils rejetés, les starlettes en herbe avaient obtenu un casting pour intégrer une célèbre école qui produisait les nouveaux talents, casting qui avait lieu d'ici plusieurs mois, laissant aux filles le temps de s'entraîner. Une fois l'entraînement terminée, Jessie partit se changer et tandis qu'elle quitta le gymnase, une voix masculine l'interpella. La collégienne se retourna pour apercevoir un de ses camarades d'écoles.
" Oh, bonjour Astin. Qu'est-ce que tu fais ici ? ", demanda t-elle d'une petite voix étonnée.
" Salut Jessie ! Eh bien j'ai entendu dire que tu allais participer au casting d'entrée de l'Ecole Pokéstar...alors je suis venue te voir danser pour voir si tout se passait bien pour toi." répondit-il en lui envoyant un de ses plus beaux sourire. Jessie sentit son cœur manquer un battement à l'entente de cet aveu. Nerveuse, elle replaça une de ses mèches roses rebelles qui lui revenaient en permanence devant les yeux (pourquoi diable avait-elle décidé de couper ses si soyeux et magnifiques cheveux, déjà ?!) et tenta de lutter pour contenir ses rougissements. Astin était loin d'être le garçon le plus populaire de l'école, mais Jessie le trouvait terriblement doux et attachant. Ses grands yeux noisettes si innocents avaient le don de la faire craquer.
" Tu sais, je t'ai observé et je te trouve terriblement douée. Tu as une telle aisance, une telle fougue dans tes mouvements...tu n'as jamais pensé à participer à des concours Pokémon ? "
" Des...concours...Pokémon ?" balbutia t-elle. Il fallait vraiment qu'elle revoit sa culture générale.
" Oui tu sais. Ce sont des épreuves où tu dois orchestrer des attaques de manière esthétique durant un combat afin de faire ressortir la beauté de tes Pokémon. Je suis moi-même coordinateur. Tu pourrais partir en voyage initiatique avec moi à la fin de l'année, qu'en dis-tu ?"
" Oh je vois...cela a l'air passionnant mais vois-tu je n'ai pas de Pokémon et puis tu sais, j'ai un objectif avec les filles. On s'entraîne tous les jours sans relâche pour ce casting, on ne peut pas s'arrêter en si bon chemin." avoua t-elle avec un petit sourire, préférant taire également le fait qu'elle ne pouvait financièrement pas se permettre de partir à l'aventure ainsi.
" Je comprends tout à fait. Cependant, la fin des cours n'a lieu que dans trois mois...cela te laisse le temps de prendre une décision définitive, après tout. " lui déclara t-il en rigolant.
La jeune fille se sentit pousser des ailes en comprenant qu'elle plaisait au garçon mais malgré tout, son choix était d'ores et déjà fait, et elle comptait tant bien que mal s'y tenir. Malheureusement quatre mois plus tard, Jessie s'en mordit les doigts : elle avait loupé son casting d'entrée dans l'incompréhension et la déception la plus totale, à l'inverse de ses amies qui avaient obtenu leur place au sein de l'école. Astin était déjà bien loin et la jeune fille se retrouvait à l'aube de son départ du collège, sans aucune orientation scolaire. Elle se voyait dès lors retourner en famille d'accueil....tous ces efforts pour rien, cela rendait malade l'adolescente, qui pleurait de rage tout en emballant le peu d'affaires de sa chambre d'internat. Sa voisine de dortoir, qui elle aussi faisait ses cartons, passa devant la chambre de Jessie. A vrai dire, elle ne s'était jamais vraiment intéressée à sa colocataire, d'une nature plutôt indifférente. Pourtant à la voir là, sanglotante face à sa valise, serrant les poings avec colère, elle ne put s'empêcher de s'approcher d'elle.
" Heeeeeeu quelque chose ne va pas ?"
Jessie se retourna vers la jeune fille blonde qui venait de pénétrer sa chambre et, prise dans un élan de désespoir, elle lui raconta de bout en blanc ses péripéties de ces derniers-mois. Sa voisine de palier, bizarrement, l'écouta avec intention, intriguée par cette petite teigneuse au caractère bien trempé. Ce côté rebelle et assuré lui plaisait bien, elle devait le reconnaître. Après avoir entendu tous les déboires de la jeune fille, elle esquissa un sourire désinvolte.
" Allons allons Jessie, c'est un peu exagéré de dire que tu n'as aucun endroit où aller. Il n'y a pas un métier, hormis celui de, hum, star, que tu as toujours rêvé de faire ? " l'interrogea t-elle en haussant les épaules. Jessie se tut pendant quelques secondes, et son regard se perdit dans ses souvenirs les plus lointains. Elle se revoyait faire semblant d'ausculter ses vieilles peluches décousues, et leur prescrire des médicaments fictifs pour qu'elles aillent mieux.
" Eh bien à vrai dire...tu as raison Cassidy, il y a bien quelque chose que j'ai toujours eu envie de faire."
"Caninou ? Est-ce que la voix est libre ?"
Le chien Pokémon, posté devant la petite cabane du parc dans laquelle les outils des jardiniers étaient entreposés (étrangement cette pièce s'avérait être réellement minuscule vu que seuls les domestiques venaient s'y aventurer), aboya doucement pour indiquer à son maître qu'il pouvait sortir. Plus les jours défilaient, et plus le jeune garçon passait son temps à se dissimuler dans ce petit entrepôt pour échapper aussi bien à la surveillance de ses gouvernantes qu'à celle également de Jezabelle, tant et si bien qu'il connaissaient par cœur le rôle de chaque instrument d'arboriculture. Il savait même distinguer les diverses caractéristiques des fleurs, preuve du nombre d'heures où il avait campé dans cet endroit, attendant toujours que la jeune fille déserte le manoir, soit à l'heure du souper en compagnie de ses parents, pour réapparaître dans l'immense maison. Les semaines de James se ressemblaient toutes, apportant quotidiennement leur lot d'ennuis. Dès qu'il revenait de l'école, escorté par un majordome, il prétextait qu'il allait simplement saluer son Caninos, mais au lieu de cela, il rejoignait effectivement son chien pour ensuite l'embarquer avec lui au fond du jardin. Forcément, cette stratégie ne marchait pas à tous les coups : un soir, alors qu'il partait en direction de la niche de Caninou, Jezabelle arrivée une demi-heure plus tôt avec son père (un homme très grand aux yeux saphirs, couleur qui ne ressemblait d'ailleurs pas du tout à celle des iris de sa fille), avait pris de surprise le garçon. James s'était alors figé sur place, livide comme un fantôme.
" - Oh James très cher, tu sembles fort hébété dis-moi. Est-ce ma charmante présence qui te confère cet air si ébaubi ? Si seulement tu revenais prématurément de tes enseignements, tu pourrais plus régulièrement avoir l'occasion de t'habituer à ma compagnie. Enfin, je vais placer cet ahurissement sur le compte dune indicible allégresse. Bien. Maintenant que nous sommes réunis, je te propose de venir boire le thé. Nous pourrons ainsi plus amplement converser à propos de la persistance de ton désagréable animal à tes côtés, ou encore de ta manière effrontée de te mouvoir qui n'est pas du tout convenable. Oh, je précise que ceci n'est pas une invitation que tu peux décliner, très cher. " Sur ce, la fillette empoigna par le bras son jeune camarade, le traînant presque pour qu'il la suive jusqu'à la salle de réception. James se maudissait de lui avoir confié ses sentiments à son égard il y a des années de cela maintenant. Depuis ce jour, Jezabelle, consciente de son emprise sur l'héritier des Morgan, s'efforçait d'avoir le plus souvent possible un pied chez la famille fortunée du jeune garçon. Au départ, James l'avait trouvé gentille et plutôt agréable car elle paraissait toujours dans sa demeure avec un grand sourire sur le visage, qui donnait à son petit minois un éclat somptueux et enfantin. Il fallait reconnaître d'autant plus que la petite était terriblement belle; James trouvait ses traits tout à fait plaisants à regarder, surtout quand la lumière du soleil filtrée à travers les épais rideaux, éclairait ses cheveux carmins, qui lui apparaissaient alors plus rosés, et sa peau cristalline lui conférant ce teint de porcelaine. Cependant sous ses airs de poupée, Jezabelle s'était rapidement révélée être un monstre d'égocentrisme. Elle exigeait la présence de James dès ses arrivées, et ne cessait de le reprendre. Les parents du garçon ricanaient en trouvant la demoiselle plus efficace que n'importe lequel de leur précepteur, car ils connaissaient tous deux l'émoi que portait leur incompétent de fils à cette jeune aristocrate. Après tout, c'était bien eux qui avaient offert à James, ce petit coffre hautement blindé pour y déposer sa lettre de demande en mariage, qu'il avait innocemment faite à Jezabelle à l'âge de neuf ans. Désormais cette idée ne traversait plus jamais l'esprit de l'enfant qui détestait la fillette et multipliait toutes les ruses pour l'éviter au maximum. Si seulement cela avait pu rester de l'ordre du passé.... Quelques mois plus tard, James se tenait recroquevillé en position fœtale dans son majestueux lit frigorifique, ne trouvant pas le sommeil malgré l'heure avancée de la nuit. Des larmes coulaient sur ses petites joues et venaient s'échouer sur ses genoux. Si l'on s'attardait d'ailleurs sur ces-derniers, on aurait pu constater une éraflure encore rougie sur sa jambe droite. Au collège privé dans lequel ses parents l'avaient inscrit, le petit garçon s'avérait être l'enfant le plus riche de tous les fils de nobles. Ses vêtements en laine de Wattouat, bien plus coûteux que ceux en coton de Doudouvet servaient de prétexte le plus récurrent aux autres élèves pour se moquer de lui tous le temps. Aujourd'hui encore, les garçons dans les vestiaires s'étaient amusés à lui voler son slip duveteux et à se le lancer les uns aux autres par des passes en cloches. James qui essayait, seul contre tous, de récupérer son précieux sous-vêtements, s'écrasa brutalement sur le sol, son genou droit s'éclatant d'un coup sec par terre, suite au croche-patte d'un de ses détracteurs. Pourtant, cela, le garçon l'avait vite oublié puisqu'une fois revenu de l'école, il s'était retrouvé face à Jezabelle, positionnée droite comme un i, qui l'attendait fermement dans le hall d'entrée, les bras croisés sur sa robe affriolante. Elle s'écria à la vue de James qui boitait légèrement, dont le genou était orné d'un pansement duquel le sang débordait sur les côtés.
" James mon cher et tendre, les mots me manquent pour exprimer à quel point tu me déçois. Nos parents viennent à peine de conclure notre promesse de mariage, et tu te comportes en permanence à l'opposé de ce que moi, ta future épouse désire. Combien de fois t'ai-je ordonné de ne pas courir au collège ? " lui lança t-elle avec un regard noir.
" Attends Jezabelle, ce n'est pas ce que tu crois, je sortais du cours de gymnast..." tente de se défendre James en bégayant.
" Il suffit mon amour. Descendons à la cave. Tu ne me laisse pas d'autre choix, malheureusement." déclara la petite, avec un sourire qu'elle ne parvenait pas à cacher.
James, dans un frisson entreprit sa longue catabase jusqu'au sous-sol, précédé de sa nouvelle fiancée. Une fois arrivée, dans cette ancienne cave à vin que Jezabelle avait réaménagé avec la complicité des parents de James, la fillette imposa au garçon de retirer sa veste d'uniforme scolaire, puis lui demanda de se mettre à quatre pattes, à ses pieds, tandis qu'elle alla fouiller dans un coffre rempli d'objets douteux.
" Je t'en supplies Jezabelle, je ne voulais pas te désobéir, écoute-moi je suis désolée..." tenta de plaider le jeune garçon qui baissa les yeux en voyant l'ombre de son bourreau s'étendre au dessus de lui.
" James, je te le répète...appelle-moi Jezabelle, CHÉRIE. " Et le fouet s'abattit dans un hurlement.
Date de dernière mise à jour : 20/02/2017