Miaouss avait été emporté le jour précédent, après avoir bu l’eau contaminée de la rivière passant près de leur cabane. Il avait usé de ses dernières forces pour prévenir ses compagnons, et avait rendu son dernier soupir dans les bras de James, effondré, mortellement touché, condamné à brève échéance.
Jessie et James l’avait enterré au pied du chêne où il avait l’habitude de faire la sieste, dans l’ombre du large tronc, quand lui et ses compagnons était en congé. La petite pierre tombale s’élevait tristement sur l’herbe jaunâtre, et l’arbre même semblait pleurer son camarade disparu. Un coup de vent ébroua les branches hautes, et l’une d’elles se détacha pour retomber doucement sur la terre protégeant le corps du félin.
James déposa une de ses roses à côté de la branche. Une larme qui perlait au coin de son œil glissa sur sa joue et tomba sur la terre qui l’engloutit avidement. Il s’essuya les yeux et étreignit la pierre pour rendre un dernier hommage à ce pokémon avec qui il avait tant vécu d’aventures. Jessie s’agenouilla à la suite de James, et accota contre la pierre une photo d’elle, James et Miaouss à la fête foraine, le visage barbouillé de crème glacée. Ce jour avait été un jour merveilleux, bien plus heureux que celui-ci. Miaouss avait épuisé ses neuf vies aux côtés de ses amis. Il avait maintenant dû partir. Jessie et James se détournèrent et revinrent vers la cabane.
À l’intérieur, Jessie jeta un coup d’œil au calendrier :
-Hum. 9 juin. Cela fait bien une semaine que nous n’avons pas tenté de capturer pikachu.
Sacrée Jessie. Malgré la perte de son ami, elle se devait de rester solide, et de ne pas se laisser aller à la déprime. Si elle craquait, James ne tarderait pas à suivre. Elle devait leur changer les idées. Elle entendit James derrière être pris d’une soudaine crise de toux. Interrogée, elle lui demanda s’il allait bien. Il lui répondit par l’affirmative, en accusant ses allergies.
Jessie regardait James triturant son assiette. Il n’avait rien mangé depuisplusieurs heures, et semblait répugner à avaler quoi que ce soit. Jessie ne pouvait l’en blâmer. Elle était loin d’être un cordon bleu. Cependant, après une mauvaise expérience, James avait l’habitude de faire une véritable razzia dans leurs vivres.
-Tu n’as pas faim, James? s’enquit-elle
-Pas vraiment. De toutes façons, ma gorge me brûle quand j’avale. Fichues allergies. maugréa-t-il en réponse.
Une autre crise de toux le reprit. Il recula sa chaise et se plia en deux sous l’effet des éternuements. Il semblait prêt à cracher ses viscères. Il se releva faiblement, l’œil hagard, la sueur collant ses cheveux sur ses tempes. Il clopina vers sa chambre en grognant qu’il était fatigué.
Jessie le regarda s’éloigner et fermer faiblement sa porte. Elle renversa la tête pour regarder le plafond et se perdit dans ses tristes pensées. Le congé risquait de prendre fin abruptement. Le torchon brûlait de plus en plus vicieusement entre la Team Rocket et l’OATR, et toutes les négociations de paix entreprises avaient échoué, laissant les deux chefs plus hargneux et déterminés à détruire l’autre que jamais.
Annexé historique : « En janvier 2004, à la suite de l’épidémie qui ravagea l’archipel Orange, le continent Indigo connut la pire guerre des gangs jamais arrivée. L’organisation criminelle Team Rocket combattit leur ennemi, l’OATR, pendant un semestre entier, multipliant les vols, meurtres et attentats. Cette guerre fut soldée par la défaite de la Team Rocket, dont toutes les bases furent détruites, les chefs mis à mort, et les agents rescapés emprisonnés. Plusieurs agents de police, de même que certains officiers K-you, furent tués dans la mêlée où ils tentaient de rétablir le calme. Ce fut cependant une victoire à la Pyrrhus pour l’OATR puisque l’organisation perdit les trois quarts de ses effectifs et bon nombre de bases et de camps d’entraînements. (Historique du Monde Pokémon, édition révisée, page 285) »
James s’étendit dans le lit après avoir péniblement enfilé son pyjama. Sa tête le brûlait. Son corps entier semblait pris de soubresauts quand il respirait douloureusement. Le lit lui semblait aussi dur que de la pierre. Il se retourna et enfonça la tête dans son oreiller, et mis de longues minutes à s’endormir avant de sombrer dans un univers de cauchemars où le voile des ténèbres lui montrait sans arrêt la mort, la douleur, la souffrance, la misère. Pauvre James emprisonné dans sa tête remplie d’horreurs. Les visions cauchemardesques le poursuivaient, de jour comme de nuit. La culpabilité, les regrets, l’amitié trahie lui rongeait le cœur. Il ne sentit pas la main que Jessie passa dans ses cheveux noircis par la nuit, et le « bonne nuit, James » qu’elle lui adressa tout bas.
Jessie s’était levée tôt ce matin pour faire de l’exercice. Elle comptait bien entraîner ce pantouflard de James à la chasse au pikachu pour lui faire oublier Miaouss. Pour qu’elle-même oublie la blessure béante qu’avait causé le départ sûrement prématuré du chat et qui avait tant entaché la solidarité du groupe, qui se voyait maintenant réduit d’un tiers. Elle prépara des crêpes à la confiture : la seule recette qu’elle réussissait convenablement, songea-t-elle en soupirant intérieurement. James adorait les crêpes.
Elle pris son éventail pour aller réveiller James en le traitant de gros fainéant, mais se ravisa. Elle ne devait pas se montrer cœur de pierre aussi vite. Dans la chambre, elle secoua gentiment l’épaule de son camarade et lui souffla : « Réveille-toi, Jimmy, le petit déjeuner est servi… »
Les paupières de James papillonnèrent lorsque qu’il entendit la chaude voix de Jessie. Il se racla bruyamment la gorge et répondit qu’il se levait tout de suite. Mais il venait de s’asseoir sur le lit en se frottant les yeux que Jessie s’exclama : « James! Sur ton oreiller, il y a du… du… » Il regarda stupidement la taie et se rendait compte qu’une tache large comme le poing de sang coagulé s’étalait dessus, presque insolemment. Il porta la main à sa bouche et se retrouva les doigts maculés de sang amer. Il se leva précipitamment de sa couche. Jessie le regardait, effarée. Elle dit en un souffle et d’une voix de petite fille effrayée :
« James… Je crois que je vais aller te chercher des médicaments… Recouche-toi, j’y vais tout de suite… Et change l’oreiller, je le laverai plus tard…»
Jessie avait dit tout cela d’une voix ébahie. Pourtant, ce n’était pas la première fois que James était malade, mais à cause d’un pressentiment affreux, elle ne pouvait s’empêcher de trembler et d’haleter comme si sa propre âme était en train de se moisir inexorablement. En sortant, elle entendit James éternuer à nouveau. Mais cette fois, il s’agissait plus d’un râlement atroce. James devait encore cracher du sang. Elle fut prise d’un doute terrible : si elle laissait James seul, qui sait ce qui pourrait arriver? Mais s’il n’obtenait pas de médication appropriée, le pire était envisageable. Sortie, Jessie se sentie plus épuisée que jamais. Mais cela n’allait pas l’empêcher d’aider son ami. Tournant sur ses talons, elle se mit à courir à toute vitesse.
James entendit la porte claquer. Jessie allait le sauver. Il le savait. Il l’espérait.
Annexé historique : « À peine un mois après la coûteuse victoire de l’OATR sur la Team Rocket, le chef de l’organisation subsistante se vit renverser par un très jeune truand extrêmement imbu de lui-même, selon les dires de l’époque : Sacha Ketchum. Ancien champion de la Ligue Pokémon Indigo (son dernier titre fut remporté en 2002), on le suspecta longtemps d’être le fils de l’ancien leader de la Team Rocket :Giovanni. Il fut tué en 2019 par un des seuls agents survivants de la Team Rocket, suite à un règne de terreur digne des plus grands malfrats des derniers siècles. (Historique du Monde Pokémon, édition révisée, page 344) »
Jessie revint à la cabane, en sueur, la poitrine brûlante, mais pleine d’une adrénaline pétillante résultant d’une excitation et d’une incertitude terrible.
« James? Où es-tu? J’ai ton… »
Elle se tut brusquement, pensant que James pouvait être assoupi. Elle se rendit dans leur chambre. Pas de James. Elle fit le tour de la cabane. James introuvable. Un déclic se fit dans sa tête. Elle courut jusqu’à la tombe de Miaouss. Des taches de sang sur l’herbe, mais toujours pas de James. Retournée dans la cabane, elle s’effondra sur le sol, le martelant de ses poings, pleurant toutes les larmes de son corps. Relevant la tête, elle vit la boîte de comprimés pharmaceutiques qu’elle avait été quérir près du combiné du téléphone. Gisant par terre. Elle se remémora les traces de pneus où elle avait faillit trébucher devant la cabane. Une ambulance. James avait appelé une ambulance. L’Hôpital de Valencia. Il était là.
« Encore un? » demanda nerveusement le docteur.
« Oui, doc, encore le fléau des sous-bois, lui répondait l’ambulancier, tout aussi nerveux. En phase terminale. Ce jeune homme a beaucoup attendu avant de nous contacter. »
« Il n’y a aucun espoir, alors. Amenez-le en salle de transition et mettez Garde Douceur à son chevet. En attendant… la morgue est pleine. »
Jessie, hors d’haleine, hurla presque.
« Où est James?!? »
« James Morgan? Il est en salle de transition. »
« Je dois le voir. Tout de suite. »
« Tenez, voici des gants et un masque. Le risque de contagion est très élevé si vous ne vous en munissez pas »
Jessie attrapa les gants et le masque chirurgicaux. La réceptionniste s’exclama :
« Mais… Vous êtes de la Team Rocket!!!! »
Jessie la regarda, éberluée. Elle portait toujours son uniforme. James était en pyjama quand elle l’avait laissé. Suivant les panneaux d’indications, elle courut jusqu’aux salle de transition, poursuivie par la sécurité de l’établissement et la secrétaire qui s’égosillait. Mûe par l’instinct des désespérés, elle pénétra dans la chambre de James. Pas d’appareils respiratoires ou cardio-vasculaires, on savait son cas perdu. L’infirmière tenta de l’empêcher de passer mais Jessie la repoussa contre le mur, oùsous le choc, elle perdit connaissance. Jessie verrouilla la porte et s’avança vers son compagnon de tant de route. Il respirait encore. Faiblement. C’était lancinant. Mortuaire.
« Le Continent Indigo, tant l’Archipel Orange, n’a connu de pires calamités que celles des trente dernière années (page 359) »
James entendit la voix tremblotante de Jessie. Il entrouvrit les yeux. Le visage si doux de sa bien-aimée était constellé de larmes chaudes. Le masque qu’elle portait en était tout humecté. Jamais il ne la trouva aussi belle.
Jessie, la joue lovée au creux de la main de James, entonna, presque comme une chanson, une prière, une litanie :
« Je m’excuse, James. Je m’excuse d’avoir été cruelle, je m’excuse de t’avoir maltraité, je m’excuse de tout ce que l’univers pourra me reprocher. Tant j’aurai été une mauvaise personne. Tant je me haïrai. Je m’excuse, James. Je… »
« Et moi, Jessie, reprit James d’une voix faible, je m’excuse de ne t’avoir pas aidée à te trouver. Le chemin de ton cœur est tortueux, nous le savons, toi et moi, comme le savait Miaouss. Je m’excuse de n’avoir jamais tenté de te creuser, trouver ta source de lumière intérieure et de faire jaillir par les pores de ta peau si belle sa luminescence argentée… Je… m’excuse, Jessie… et… je t’aime. »
« Les générations futures seront, nous l’espérons tous, plus favorisées par le hasard des tourments du temps (page 370) »
« Je t’aime aussi… James… »
Jessie étreignit son ami, qui l’étreignit réciproquement. Puis Jessie pensa soudain. C’était impossible. Pas comme ça. Leur histoire si romanesque, remplie de joies, de peines, d’entraide et d’amitié n’allait pas se terminer ainsi. Se redressant, elle arracha son bâillon isolant. Qui l’isolait de la souffrance de James. Qui symbolisait l’égoïsme et l’indifférence. Elle entendit l’infirmière Douceur protester faiblement, toujours adossée au mur. James tenta de la retenir. Mais se penchant sur lui, elle l’embrassa, cherchant le rêve, l’innocence et le sacrifice nécessaire à la purification de l’âme. Car si James mort, et elle vivante, elle se sentirait damnée.
« Jessie… La contagion… »
« James, la vie sans toi… c’est une vie d’errance et de culpabilité. Il faudra mourir un jour de toutes façons… et… (Jessie sentit ses jambes faiblir) …la façon la plus douce mourir… c’est de mourir… à tes côtés… »
« Car tout n’est jamais que début…»
Ils restèrent enlacés de longues minutes, sous le regard indéchiffrable de Garde Douceur. Leurs battements de cœur, jusque là synchronisés, s’arrêtèrent ensemble. Un doux sourireilluminait leurs visages, défiant la nature et la société pourrie qui attendait leur monde, en attendant des jours meilleurs. Un sourire imprimé pour l’éternité sur deux visages angéliques, qui, à défaut d’avoir été unis par la vie, le furent par la mort.
Dans les manuels d’histoire, one parlera pas de la mort tragique de deux jeunes gens avides d’amour et d’avenir, deux jeunes gens qui furent injustement fauchés par les dédales du hasard universel. Leur mort, parmi tant d’autres morts injustes, ne changeront pas l’histoire. Car l’histoire se poursuit, toujours. Pour que d’autres désastres se produisent. Pour d’autres merveilles se réalisent. Pour que les nouveaux enfants de ce monde ravagé puis reconstruit poursuivent la tradition de vie et d’espoir. Pour que d’autres historiens écrivent leur histoire. Pour que des rêves soient accomplis. Pour que l’œuvre d’amour inachevée des victimes soit complétée. Que les cœurs soient enfin satisfaits.Et que jaillisse la lumière.
Que tourne la Terre.
Date de dernière mise à jour : 05/07/2021